Chronique livre : Dans le café de la jeunesse perdue

de Patrick Modiano.

Un peu bizarre de plonger dans ce court ouvrage après 5 énormes pavasses, mais on ne peut pas résister à l’appel du livre quand il est doté d’un titre si beau. Dans le café… passe comme un rêve, porté par une langue si simple et si belle, qu’elle flotte dans le crâne comme une douce mélodie.

Louki fréquente un café, peuplé d’une jeunesse perdue avant même d’avoir commencé à vivre. Plusieurs personnages se succèdent, dont elle-même, pour faire le portrait en creux de cette femme, ou plutôt les impressions qu’elle a laissé dans les mémoires des gens qui l’ont croisée. C’est très beau, d’autant plus que finalement, on n’apprend pas grand chose sur Louki, elle reste un mystère entier, fantôme de passage dans ce monde, pas vraiment dans la vie, en dehors.

Le livre offre alors le portrait d’une époque révolue, d’un temps passé. Pas de nostalgie ici, l’écriture de Modiano est finalement plus attachée aux êtres qu’aux saisons, et les saisons n’existent que par la présence des êtres. A savourer avec délicatesse.

Chronique Livre : Ni d’Eve ni d’Adam

d’Amélie Nothomb.

Situé temporellement en amont de Stupeur et tremblements, Ni d’Eve ni d’Adam retrace l’histoire sentimentale d’Amélie Nothomb lors de son retour au Japon après 15 ans d’absence. Le bouquin porte à nouveau ce regard fasciné sur une culture si différente de la notre.

Évidemment passer de Dostoïevski à Nothomb, ce n’est pas forcément glorieux. Cependant , en fouillant dans les coïncidences heureuses, on découvre que le personnage masculin de Ni d’Eve ni d’Adam, n’est pas si loin de la figure christique du Prince Mychkine, un prince aussi nippon que l’autre était russe, mais tout autant que lui dénué du moindre sentiment obscure. C’est d’ailleurs cette absence de « souillure » qui ravit Amélie, et en même temps qui l’oblige à fuir, en quête d’un « bouleversement », d’un extrême, de quelque chose qui tâche.

Ni d’Eve ni d’Adam est profondément agaçant, car profondément inégal, navigant entre l’exaltation totale, et le foutage de gueule affiché. Nothomb garde son sens de la formule, en droite ligne de Stupeurs et tremblements, mais relâche beaucoup trop souvent son écriture. Trop de facilités à écrire conduit à d’énormes facilités stylistiques balourdes, jusqu’au point culminant, page 166, je cite « C’était trop bien« . Et soudain, alors qu’on s’arrache les cheveux, surgit un passage bouleversant. Nothomb est bien plus intéressante quand elle est exaltée, que dans sa « vision loufoque du quotidien », qui me paraît aujourd’hui un peu datée et 1000 fois copiée. Sa balade seule en montagne est vraiment jolie, symbole de sa jeunesse indestructible, frondeuse et inconsciente. On sent là une sincérité totale, une urgence à vivre, à ressentir, à souffrir qui touche vraiment.

Chronique livre : Dans la nuit Mozambique

de Laurent Gaudé.

Voilà un bien joli recueil de nouvelles, qui, sans me faire hurler au génie, m’a reposé après Giono et Beckett. Composé de quatre histoires, très bien écrites, bien tenues (la forme courte permet à Gaudé de ne pas se diluer sur la longueur comme dans « Le soleil des Scorta« ), le ton est tour à tour fantastique, nostalgique et cruel. Contrairement au confrère bloguien de Shangols, j’ai été beaucoup plus convaincue par la première et surtout la troisième histoire, plus fiévreuses et heurtées, qui réussissent à maintenir une tension palpable. La seconde, et la dernière, plongeant dans une nostalgie, certes pas mièvre, mais un peu vaporeuse se lisent un léger sourire aux lèvres, mais sans passion non plus. On admire le savoir-faire de Gaudé, cet homme-là sait écrire, c’est certain, manque juste parfois un poil de sel.

Chronique livre : Cette Histoire-Là

d’Alessandro Baricco.

Cette histoire-là est sans doute le roman le plus accessible de Baricco. Alors qu’il me faut habituellement plusieurs tentatives pour réussir à pénétrer son univers, l’entrée est ici immédiate. Ou alors je m’habitue, sans doute. Ce nouveau roman, bien qu’un peu inégal, confirme que Baricco est un grand écrivain symphonique, capable d’appréhender le monde de manière holistique , d’en faire émerger les voix, parfois désaccordés, en un ensemble stupéfiant d’harmonie.

Il ne faut pas se fier à l’apparente simplicité du style, à sa quasi transparence. Les phrases au cordeau, d’une précision rythmique micrométrique, esquissent une partition complexe et polyphonique. Avec Ultimo, personnage central, on est plongé au coeur des fluides, des flux, des courbes, à la recherche d’une perfection futile et essentielle. Les trajectoires des personnages se croisent pour ne plus jamais se rejoindre, mais les liens demeurent intouchables. La grande luminosité du style ne masque cependant pas la dureté de certains passages, mais permet le jaillissement de ce qu’il y a de plus extraordinaire dans les choses, les faits et les êtres.

Cette amplitude, cette sublimation agace certains, je sais. Pourtant, c’est une manière de rendre la vie plus grande , plus belle, ou du moins, un peu plus supportable. La relative faiblesse de la troisième partie (le Mémorial), ne doit pas éclipser la grande beauté de la trajectoire d’Ultimo, son désir insensé de perfection, d’absolu. On devine derrière ce personnage, Baricco l’écrivain, chercheur infatigable des harmonies du monde.

Chronique livre : Harry Potter et les reliques de la mort

Harry Potter and the Deathly Hallows
de J. K. Rowling

Ça y est, après 10 ans tout juste de bons, loyaux et lucratifs services, Harry Potter a raccroché son chapeau pointu littéraire. Pour les grincheux, à défaut d’autres choses, on peut quand même lui reconnaître l’amélioration exponentielle du niveau d’anglais d’environ 200 000 ados français, de quoi redorer un peu l’image de la France à l’étranger en matière de qualités linguistiques.

L’ultime tome de l’heptalogie tient toutes ses promesses : attente, actions, mystères, révélations, doutes, certitudes … Il est assez incroyable que l’imagination fertile de J. K. Rowling, et sa plume taquine ne se soient pas écroulées face à un tel raz de marée. Il y a même une forme de modestie, un vrai respect du public dans ce 7ème tome. Les passages obligés sont présents, avec tous les ingrédients de la réussite, mais pourtant, il n’y a rien d’impersonnel, rien qui paraisse né d’un bouquin de cuisine.

Rowling en garde sous le pied, elle est dans son monde enchanté, et on sent cet univers bien réel pour elle. Son style, foisonnant, poétique et incroyablement riche en vocabulaire, transforme la lecture en un régal semé d’embûches. Elle a su de faire mûrir ses personnages, son style, ses histoires, et on imagine volontiers que malgré les millions de Livres engrangées, la pose du point final de la page 609 a dû être un déchirement.

Très bonne surprise donc, alors que je m’attendais, depuis le troisième tome, au dégonflement final du soufflé.