Chronique livre : Tuer le père

d’Amélie Nothomb.

Le dernier Nothomb, c’est un cadeau habituel d’anniversaire malgré deux ans sans. Contrairement à ce que son titre pourrait laisser supposer, Tuer le père est essentiellement une petit récréation sans vraiment de conséquence ni de prise de tête psychanalytique excessive.

Joe est un adolescent doué pour la magie. Il est foutu dehors par sa mère, et se trouve une famille de substitution en Christina et Norman. Elle est danseuse de feu, lui le plus grand de tous les magiciens. Il est simple, sage et placide, et accepte d’apprendre à Joe tous ses trucs. Véritable père de substitution, Norman essaie de guider le jeune homme dans le droit chemin. Mais Joe est avant tout un joueur…

Délaissant pour un temps son sens de la formule, Nothomb réussit un roman relativement égal : Tuer le père se tient d’un bout à l’autre, sans particulièrement de passage à vide, mais sans vraiment de passage à plein non plus. L’histoire se lit avec plaisir, facilement, et le twist final surprend agréablement. Il y a là derrière une réflexion (très légère) sur ce qu’est un père (celui que vous choisissez ou qui vous choisit ?) mais cette réflexion reste très superficielle et sert surtout le surprenant dénouement.

Bon certes rien de bien transcendant, un Nothomb lisible, relativement tenu, vite lu, vite oublié.

Chronique livre : Incident de personne

d’Eric Pessan.

“Toutes les histoires devraient commencer ainsi : par un brutal arrêt, un hoquet dans la course folle, le monde se vide et deux personnages se font face.”

D’un nom vaguement entrevu, à un présentoir de librairie, et un quatrième de couverture qui fait tilt. Un homme à la dérive est coincé dans un TGV en rase campagne sarthoise suite à un incident de personne, tournure qui m’a toujours glacée pour signifier un suicide. Cet homme épuisé, bourré jusqu’à la gueule d’histoires terrifiantes confiées par des étrangers lors d’ateliers d’écriture dont il est l’animateur, craque, et déverse à sa voisine d’attente ses histoires récoltées, et ses histoires à lui. Les digues cèdent comme il le répète plusieurs fois.

Incident de personne est un livre intéressant et intelligent, touchant aussi. Il brasse un grand nombre de sujets fondamentaux qui se rapportent à l’humanité, à la survie intérieure. Le suicide, l’arrêt brutal du train, le coup au sternum, l’attente et le huis-clos ferroviaire servent de déclencheur à une parole trop longtemps contenue et emplie d’histoires exogènes, mais qui sont venues se loger là, et peu à peu ronger, grignoter l’énergie, la vie du narrateur. Comment font ces gens pour survivre à ces horreurs qu’ils ont vécues ? Les coucher sur le papier a t’il servi à quelque chose ? Que deviennent ces histoires par la suite ? Combien des peines des autres est on capable d’écouter, et de porter ? Comment survivre à la sédimentation des confidences des autres qui restent graver en nous ? On sent que ces questions, Eric Pessan se les pose constamment, dans tous les sens, et de là naît cette sensation de répétition qui surgit de temps en temps à la lecture d’Incident de personne. Le processus pourrait sembler redondant, mais il est profondément sincère, collant à la pensée de son narrateur. Une pensée usée, qui tourne en boucle et cherche un moyen de sortir de ses circuits noircis. Une pensée qui à force d’avoir été attentive aux autres s’est oubliée et part en quête d’elle-même.

L’écriture de Pessan est belle, peut-être un peu classique parfois, parfois sèche et tranchante, parfois tendre et émouvante lorsque le narrateur semble retrouver un minuscule point d’ancrage dans la vie quand sa voisine endormie pose sa tête sur son épaule. Le huis-clos est seulement perturbé par des apparitions fugitives et fantomatiques en provenance de l’extérieur, créant une atmosphère quasiment fantastique autour de ce train perdu en rase campagne. L’irruption onirique des animaux des bois dans le wagon est un beau moment, une oasis, une échappatoire, un moment hors du temps, suspendu. Une belle découverte, de celles qui savent mettre des mots sur ce qu’on ressent.

Chronique livre : Harpoon

de C.W. Nicol.

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Quand les traditions s’accrochent. Clique.

Alors là attention ! Amateur de romans d’aventures plein de fougue, de bagarres, d’amours éternelles, de code de l’honneur, de tiraillements moraux, de chasse à la baleine, stoppe ici ton regard pour lire les quelques lignes qui vont suivre. Harpoon fait partie des grands romans d’aventures totalement méconnus, par un auteur également méconnu. C. W. Nicol a eu la malchance de naître au milieu du XXème siècle soit un siècle trop tard par rapport aux grands romanciers d’aventures du XIXème (Melville, Stevenson, Conrad, London…) Harpoon est paru en France en 1987, et, probablement desservi par son grand classicisme stylistique complètement passé aux oubliettes. Heureusement qu’un conseiller avisé m’a parlé de ce roman, déniché pour une bouchée de pain d’occaz sur la toile (lecteur, tu sais ce qu’il te reste à faire mmm ?).

Harpoon raconte, au travers des parcours d’une poignée de personnages forts, judicieusement sélectionnés, la transformation du Japon féodal et traditionnaliste de la fin du XIXème siècle aux prémices de la société “moderne”. Une période de l’histoire japonaise qui était pour moi complètement méconnue. C’est donc avec passion que j’ai découvert la mutation pour le pire et le meilleur de la société japonaise. Le sujet en lui même est un grand sujet, d’une extrême richesse, et permet à Nicol de développer une belle panoplie de thématiques qui semblent lui tenir particulièrement à coeur. Il ne fait pourtant jamais preuve d’aucun manichéisme, même si on sent son coeur pencher nettement du côté de la vision nipponne des choses.

L’écolo que je suis ne peut être que touchée par la vision du monde de Nicol, à la fois attentif aux petites beautés de la nature (une araignée dans sa toile, la couleur d’une fleur…), mais également capable d’une belle hauteur de vue. Les scènes de chasse à la baleine, loin d’être difficilement supportables comme celles de Moby Dick, reflètent au contraire tout le respect dû à ces nobles mammifères. Elles sont dures bien entendu, mais la vision orientale de cet acte n’est pas comparable à la vision occidentale. Dans le premier cas c’est une chasse de subsistance et chaque parcelle de l’animal est utilisée. Les baleiniers occidentaux eux, pratiquent une chasse industrielle, uniquement vouée à l’approvisionnement en huile de baleine pour les lampes. Ils délaissent les carcasses dans l’eau, gâchant ainsi une viande précieuse, et appauvrissant l’océan de ses occupants. Cette confrontation de méthodes et de finalités sert de métaphore à la confrontation des modes de pensées japonais et occidentaux.

Sans jugement de valeurs de la part de Nicol, on découvre (ou on redécouvre) les mécanismes de la société traditionnelle japonaise, basée sur le respect : respect de la hiérarchie sociale, de l’environnement, de la tradition. Mais ces mécanismes ne sont pas sans défaut, et l’intrusion de la société occidentale, via les baleiniers et plus généralement le commerce, révèle les failles de cette société ancestrale : une société de classes sociales figées, dans laquelle les traditions permettent aux classes dominantes de se perpétuer, de manière autoritaire, sans possibilité d’amélioration des conditions de vie. Bien que complètement destructrice et irrespectueuse de l’environnement, la société occidentale porte cependant en elle quelques valeurs plus humanistes, et notamment une certaine égalité (toute relative) entre les individus, qui permet l’évolution individuelle de l’homme d’une classe sociale à une autre. Nicol expose ces différences, sans avoir la volonté de démontrer quoi que ce soit, mais on se dit cependant que le mélange des deux cultures, inéluctable, aboutira à une société schizophrène, tant les deux visions du monde semblent irréconciliables. Le livre éclaire donc magnifiquement les racines du Japon d’aujourd’hui, sous ses aspects de roman d’aventures foisonnant.

Parce que le livre se dévore, littéralement. On est complètement happé par les aventures de Sadayori (le samouraï solitaire), Jim Sky (le petit baleinier nippon, qui devient capitaine d’un navire américain) et Saburo (le frère sacrifié qui reste au village), on vibre aux rythmes des bagarres, et des moments d’attente, des scènes d’amour, pris dans l’incroyable richesse de ce roman à l’écriture classique mais très belle. Harpoon est à ma connaissance le seul roman traduit en français de C. W. Nicol, et c’est bien dommage, puisque ce gallois d’origine a aujourd’hui pris la nationalité japonaise, et écrit dorénavant en nippon. Pas simple.

Harpoon est un grand roman humaniste, écolo, captivant, riche et bouleversant. Mes respects C. W. Nicol-san. Domo Arigato.

Chronique livre : Absolument débordée

de Zoé Shepard.

Pour une fois, pas de moi.
Illustration tirée de « Courrier de l’environnement de l’INRA » n°58

C’est avec beaucoup de méfiance que j’ai mis le nez dans ce livre : peur de voir “casser” du fonctionnaire, comme c’est la grande mode en ce moment, et de m’énerver à voir décrédibiliser encore et toujours les “nantis” que nous sommes. Et je suis plutôt soulagée à la fin de la lecture d’Absolument débordée, bien que je craigne que le texte dans des mains mal intentionnées ne soit utilisé à très mauvais escient. Zoé Shepard est rentrée dans la fonction publique par conviction, et malgré sa désastreuse expérience, garde espoir. Elle a raison : les fonctionnaires que je côtoie travaillent, sont investis, malgré toutes les difficultés croissantes rencontrées au quotidien.

Le principal atout de ce livre est qu’il est totalement désopilant. Zoé Shepard dresse une série de portraits fendards de ses collègues de travail, chefs et élus. Au rang des réussites, l’inénarrable Coconne (l’assistante à qui il ne faut surtout pas demander de faire quelques chose), Simplet le chef sans cerveau, Alix greffée à son blackberry, le Bizut… La liste est longue, et permet bien évidemment de projeter ses expériences personnelles sur ces personnages. C’est évidemment la grande force de Zoé Shepard qui a trouvé là un excellent filon, permettre aux travailleurs “administratifs”, aux cercles de travail relativement restreints, de se projeter dans cette description au vitriol de ce milieu professionnel. Parce qu’évidemment, qui n’a pas croisé une Coconne, un Simplet, une intrigante dans sa carrière ? qui, après quelques mois de carrière ne s’est pas rendu compte du taux élevé de pipeautage en réunion ?

On aurait tort de réduire Absolument débordée à une caricature féroce des fonctionnaires. Zoé Shepard est indéniablement très intelligente, et c’est un système dans son ensemble qu’elle remet en cause : soumis aux politiques diversement honnêtes et compétents, managés par des lèche-cul sans qualification. Le livre n’est pas un pamphlet anti-fonction publique, mais plutôt un électro-choc salutaire. La réaction du Conseil régional d’Aquitaine (véritable employeur de l’auteur qui a visiblement été facilement démasquée) montre qu’il y a encore du chemin à faire et qu’il ne fait pas bon pour un fonctionnaire ouvrir sa gueule. Il faut avouer que la demoiselle n’y va pas avec le dos de la cuillère, qu’elle a absolument mauvais esprit (et c’est tant mieux, du moins pour nous, moins pour ses collègues qui se reconnaîtront), qu’elle ne mâche pas ses mots : un con est un désigné comme tel. Pas étonnant que le Conseil régional d’Aquitaine l’ait très mal pris, dommage pour lui qu’il n’ait pas eu l’intelligence de ne pas ébruiter l’affaire et surtout quelle honte que cette réaction complètement disproportionnée.

Pour dépasser le côté polémique de l’ouvrage, il faut reconnaître à Zoé Shepard une plume audacieuse, leste, un art de la métaphore qui tue, un certain talent pour la construction. Son livre, dont les quelques trois cents pages se lisent d’une traite est indéniablement bien fichu. De quoi se dire que grâce à cette malheureuse expérience, elle a sans doute trouvé sa voie.

Chronique livre : On ne boit pas les rats-kangourous

d’Estelle Nollet.

Un coyote sauve la vie des protagonistes en allant leur chasser des lapins.
Et toi ma chienne, tu crois vraiment nous nourrir à coup de pouic-pouic ? 

Je dois vous avouer ma perplexité devant l’engouement suscité par ce livre dans la presse et sur le web. Certes il n’y a rien de franchement honteux dans ce roman, mais il s’agit d’un premier roman qui m’a paru fort maladroit en bien nombre d’endroits. Estelle Nollet a sans aucun doute des lectures très avouables (McCarthy, Beckett…), elle tente de se créer un style à l’américaine, cru, plein de phrases définitives sur le sens de la vie. Malheureusement, à 32 ans, la ravissante Estelle Nollet ne réussit pas à donner le change, et son roman paraît extrêmement fabriqué et totalement insincère. Après un début vraiment long (planter le décor prend à peu près 150 pages), le livre décolle un peu quand son narrateur commence à poser des questions. Notre intérêt s’éveille en même temps que le sien.

Malheureusement au lieu de garder le mystère, de maintenir l’opacité de la situation, l’enfermement de ses personnages, Estelle Nollet se lance dans des explications à la symbolique lourde (très lourde) : c’est la culpabilité qui maintient les hommes enfermés, pour réussir à sortir, il faut se pardonner en suivant le chemin de lumière creusé par l’innocent au coeur pur. Bon je caricature mais on en est vraiment pas loin. Les brillantes références littéraires invoquées par Estelle Nollet s’effacent au profit d’autres beaucoup moins glorieuses (genre Bernard Werber ou Le Village de Shyamalan). C’est vraiment dommage. On sent qu’Estelle Nollet a des choses à dire, mais elle se noie dans son décorum. Comme le titre le laissait présager, un ratage. Prometteur, mais un ratage quand même.