Chronique livre : Cantique des Plaines

de Nancy Huston

Cantique des Plaines est un des premiers romans de Huston. C’est évident quand on a lu ses trois derniers, même en évitant soigneusement de regarder la date de parution. Alors que dans ses publications les plus récentes, la forme et le fond se nourrissent mutuellement, dans une relation de symbiose parfaite, ce Cantique sent un peu trop le processus, la fabrication, pour être entièrement convaincant.

A partir de fragments de manuscrit laissés par son grand-père décédé, sa petite-fille essaie de reconstituer la vie de cet homme qu’elle a adulé. Effectuant plus un travail d’écrivain que de biographe (elle invente plus qu’elle ne raconte), son récit est le prétexte à embrasser quatre générations de nord-américains, l’Histoire qui les ballotte, et des réflexions plus profondes sur la religion et l’existence de Dieu.

Sujets trop vastes pour un si court roman, on sent l’ambition, l’écrivain qui tire la langue derrière son manuscrit, et les heures de recherche bibliographiques. On renifle également un beau règlement de compte entre Huston et Dieu. Derrière le style parfois un peu pompeux, on voit cependant poindre les germes de Lignes de Faille ou Dolce Agonia. Pas de doute, déjà en 1993, Nancy Huston, avait tout compris à l’être humain, ses faiblesses et ses forces, son ambiguïté et ses paradoxes.

Cantique n’arrive cependant pas à atteindre l’émotion et la profondeur de ses romans actuels, plombé par sa forme, et la présence trop flagrante de l’écrivain. La lecture de Huston montre qu’elle est en constante progression, ce qui augure de belles choses pour la suite, elle réussit à aller vers plus de simplicité et de lumière, tout en enrichissant son regard et ses réflexions. Chapeau bas, donc.

Chronique livre : Dolce Agonia

de Nancy Huston

Ahhh que ça fait du bien de lire des choses bouleversantes. J’avais été éblouie et tourneboulée par son dernier roman (Lignes de faille, dont je n’ai pas fait la critique – mea culpa – mais Gols l’a emballée-pesée ici). Je me suis donc jetée sur Dolce Agonia.

J’avoue avoir eu un peu de mal à rentrer dans cette histoire si dense, et pourtant si courte. Beaucoup de personnages, de digressions, et autres flash-back, une lecture hachée, m’ont obligé à reprendre parfois quelques pages en arrière pour faire un point sur qui est qui, qui fait quoi. Mais bien vite, on s’adapte à ce rythme si particulier, ces vagabondages de l’esprit, ces voyages aux tréfonds des souvenirs.

La trame est pourtant déroutante de simplicité et d’intelligence. Sean, écrivain et professeur d’université, invite 12 de ses amis à dîner. Chaque chapitre, correspondant à une partie de la soirée, est entrecoupée par l’intervention de Dieu qui explique de quelle manière il va les faire mourir, un par un. On sait donc une chose sur ces gens qu’ils ignorent, tandis qu’ils nous apprennent, de part leurs comportements, réflexions, et souvenirs, tout ce qu’ils sont, ou ont été.

Malmenés, odieux, émouvants, humains, ou inhumains, rien de leurs émotions ou turpitudes ne nous échappent. Cette plongée au plus profonds des être est magnifique, et le regard porté sur ces personnages par Huston est admirable de tendresse. Pourtant, ils sont bien petits et mesquins ces intellectuels, mais apprendre à les connaître, c’est apprendre à les aimer. On sait tout de ces gens en à peine 500 pages, tapées en police 20, c’est extrêmement brillant, et riche. Ce livre contient autant de films qu’il y a de personnages, tant de concision, tant de matière si intelligemment utilisée, ça mérite un respect profond.

Encore une fois la littérature d’outre-Atlantique me fout une grande claque dans la gueule, et un grand coup de point dans le ventre, et me fait chialer dans le train. Ca devient une habitude.