Chronique film : Lettres d’Iwo Jima

de Clint Eastwood (Lettres d’Iwo Jima)

Second volet eastwoodien sur la bataille d’Iwo Jima, après Mémoires de nos pères. Un sujet, deux points de vue. On est ici du côté nippon, après la vision américaine (renseignements zici).

Bien moins complexe dans sa construction temporelle que son prédécesseur, Letters from Iwo Jima est relativement linéaire, bien qu’éclaté entre plusieurs personnages : un jeune boulanger enrôlé de force pour servir l’empereur, un capitaine cavalier, médaille d’or aux JO de Los Angeles, un général américanophile, humaniste et artiste, un caporal fou furieux…

Comme dans Flags of our fathers, l’image est désaturée à l’extrême, à l’exception du rouge, rouge des flammes, rouge sang, rouge du drapeau japonais. C’est magnifique et cracra en même temps, ça reflète ce qu’est la guerre du dedans, crade, bourbeuse et poussiéreuse, déglamourisant complètement tous les attraits potentiels de la chose.

Tourné en japonais, avec des acteurs japonais tous excellents (sacré défi, remporté de ce point de vue là haut la main), Letters of Iwo Jima est très lent, sans pour autant ennuyer, malgré ses 2h19. Alternant scènes d’introspection des personnages (le général, et le boulanger écrivant à leurs familles, le champion et son cheval, le caporal fou faisant le mort au milieu d’un charnier, des bombes posées sur sa poitrine), scènes de groupe (notamment une scène de hara-kiri à la grenade assez sidérante), et scènes de batailles désolantes, Eastwood donne à chaque échelle de l’histoire son sens, ou plutôt tout son non-sens.

Car Letters from Iwo Jima, comme son alter ego américain, est un film profondément pacifiste. Si aux Etats –Unis, c’est le culte de l’héroïsme public qui est la cible du tir, ici, c’est le culte du dévouement à l’empereur, à la nation, au code de l’honneur nippon qui en prend un coup. Le film se met à hauteur d’hommes, démontre avec force que quelque soit la culture, les hommes sont finalement tous les mêmes, capables du meilleur, comme du pire, emprisonnés pour la plupart dans un mode de pensée codifiée qui ne peut amener qu’au pire.

Letters from Iwo Jima n’est certes pas le meilleur Eastwood, mais un film de bonne facture, profondément humaniste, qui a enfoncé le clou de mon pacifisme encore un peu plus profond.

PS : j’allais faire une blague nulle sur la façon de dire « Général » (ou capitaine, j’en sais rien), en japonais, mais Gols l’a déjà faite .

Chronique livre : Dolce Agonia

de Nancy Huston

Ahhh que ça fait du bien de lire des choses bouleversantes. J’avais été éblouie et tourneboulée par son dernier roman (Lignes de faille, dont je n’ai pas fait la critique – mea culpa – mais Gols l’a emballée-pesée ici). Je me suis donc jetée sur Dolce Agonia.

J’avoue avoir eu un peu de mal à rentrer dans cette histoire si dense, et pourtant si courte. Beaucoup de personnages, de digressions, et autres flash-back, une lecture hachée, m’ont obligé à reprendre parfois quelques pages en arrière pour faire un point sur qui est qui, qui fait quoi. Mais bien vite, on s’adapte à ce rythme si particulier, ces vagabondages de l’esprit, ces voyages aux tréfonds des souvenirs.

La trame est pourtant déroutante de simplicité et d’intelligence. Sean, écrivain et professeur d’université, invite 12 de ses amis à dîner. Chaque chapitre, correspondant à une partie de la soirée, est entrecoupée par l’intervention de Dieu qui explique de quelle manière il va les faire mourir, un par un. On sait donc une chose sur ces gens qu’ils ignorent, tandis qu’ils nous apprennent, de part leurs comportements, réflexions, et souvenirs, tout ce qu’ils sont, ou ont été.

Malmenés, odieux, émouvants, humains, ou inhumains, rien de leurs émotions ou turpitudes ne nous échappent. Cette plongée au plus profonds des être est magnifique, et le regard porté sur ces personnages par Huston est admirable de tendresse. Pourtant, ils sont bien petits et mesquins ces intellectuels, mais apprendre à les connaître, c’est apprendre à les aimer. On sait tout de ces gens en à peine 500 pages, tapées en police 20, c’est extrêmement brillant, et riche. Ce livre contient autant de films qu’il y a de personnages, tant de concision, tant de matière si intelligemment utilisée, ça mérite un respect profond.

Encore une fois la littérature d’outre-Atlantique me fout une grande claque dans la gueule, et un grand coup de point dans le ventre, et me fait chialer dans le train. Ca devient une habitude.

Chronique film : La Cité Interdite (Curse of the Golden Flower)

de Zhang Yimou

Madame a une liaison avec son beau-fils, et Monsieur le prend mal. Du coup il empoisonne Madame un peu plus chaque jour sous prétexte de la soigner. Madame s’aperçoit des méfaits de Monsieur, et décide de se venger. De son côté, le beau-fils a une liaison avec la fille du toubib, qui finalement se révélera être sa demi-sœur, puisque l’ex de monsieur s’est remariée en secret avec le toubib. Au final, le petit dernier fera une crise d’adolescence et d’autorité, assez vite jugulée, le cadet prouvera qu’il est vraiment un fils à maman. Du coup, comme on est dans la Chine du 10ème siècle, que Monsieur est empereur et Madame Reine, tout le monde meurt, sauf Monsieur, et c’est ballot, parce qu’en fait, c’est lui le méchant.

Voila grosso modo l’histoire de la Cité interdite, film chinois à superlatifs : une reconstitution grandeur réelle de la Cité Interdite, des dizaines de milliers de figurants (et oui, les scènes de batailles finales ne sont pas numériques, les scènes de foules ne sont pas composées de clones virtuels), des costumes ayant demandé des mois de travail, des décors intérieurs surchargés (vaut mieux pas être daltonien j’pense)…

Et pourtant, La Cité Interdite est un film d’une extrême lenteur. Ce qui intéresse Zhang Yimou, ce sont les dessous du fonctionnement de cette hallucinante cité impériale. Lever et préparation des servantes, rituels ponctuant la journée, nettoyage et remise en ordre d’une cour après une bataille… on retrouve bien là le réalisateur d’Epouses et Concubines, à essayer de trouver les grains de sables dans ces univers codifiés (« Allumez les lanternes rouges… »). La répétition des gestes, des habitudes, créent une rythmique tout à fait particulière et inattendue dans un tel film.

« Or et jade à l’extérieur, pourriture et décadence à l’intérieur », dans ces fastes, la caméra s’attache pourtant à filmer de près ses personnages, à raconter une histoire intime, un drame familiale. On est dans un monde clos, sans ouverture aucune sur le monde, la lumière provenant des éléments de décor eux-mêmes. Quand les personnages veulent de l’intimité, on déplie de légers rideaux translucides, la caméra se place derrière, car des secrets, finalement, dans un tel palais aux cloisons de papier, il ne peut y enavoir. Ce qui frappe, c’est l’extrême lisibilité des images, malgré ces décors totalement surabondants (Sofia Coppola aurait dû en prendre de la graine avant de filmer calamiteusement Versailles). Les personnages sont toujours le centre d’attention au milieu de toute la quincaillerie, et c’est très fort.

Au milieu de tout ça, et pour vendre son film, Zhang Yimou a bien dû y coller des scènes de batailles, passage obligé. Je ne suis pas bon juge, les batailles, ça me gonfle. Visiblement lui aussi, car à ces moments là, il casse complètement son immense jouet, on est entre les tortues Ninjas et les Chevaliers du Zodiaque. Je soupçonne derrière tout ça un humour au millième degré. « Ah vous voulez du sang, vous allez en avoir les enfants », les soldats en jaune se retrouvent scotchés comme des mouches aux immenses boucliers à clous des soldats en gris, les soldats en gris utilisent la technique de la tortue, comme les romains dans Astérix… Ridicule aussi Chow Yun-Fat, qu’il faudrait botoxer tellement son froncement de sourcil (juste le droit hein), et sa torsion de bouche sont horripilants (ok c’est le méchant, mais bon, quand même quoi).

Mais oublions ça, reste une histoire intime dans un décor hors-normes, la description d’une décadence en marche, des images sublimes (ou immondes, faut avouer que c’est spécial quand même). Zhang Yimou reste quand même le gars qui a réalisé Le Sorgho Rouge, Qiu Ju, et Vivre!, il ne perd pas totalement la main sur son film. Reste aussi un cri, le cri de la fille du toubib qui vient d’apprendre qu’elle a couché avec son demi-frère. On passe en un quart de seconde à une révélation limite ridicule à un cri et une fuite poignants dans une Cité interdite vide, et qui se termine inéluctablement par la mort.

Inégal mais bigrement intéressant.

Chronique film : Les Témoins

d’André Téchiné

Les Témoins est le film le plus émouvant, humain et lumineux que j’ai vu depuis longtemps. Ne vous fiez pas à cette affiche sinistre. Enfin un film français qui se regarde autre chose que le nombril, un film cruel, tendre, triste et ensoleillé, et un formidable hymne à la vie.

De l’été 1984 à l’été 1985, on suit l’itinéraire de 5 personnes : Manu, jeune ariégeois homosexuel, sa sœur Julie, chanteuse lyrique qui rame, Adrien, médecin amoureux platonique de Manu, Sarah, une amie d’Adrien et son mari Mehdi, flic. Ces personnages se rencontrent, se plaisent, s’aiment, trouvent un équilibre plus ou moins stable. Jusqu’à l’arrivée du sida dans leur vie. Manu a attrapé le virus, et fait basculer leur horizon à tous.

C’est l’extraordinaire attention que Téchiné porte à ces personnes qui est magnifique. Cadrés de près, il filme au plus près des visages et des corps, au plus près des mouvements. Le travelling sur Manu, courant avec légèreté sur la plage, et finissant sa course dans un arbre est absolument magnifique.

Les acteurs sont tous parfaits. Johan Libéreau, dans le rôle de Manu, jeune homme à peine sorti de l’adolescence, a le sourire ravageur et l’innocence des jeunes acteurs débutants chers à Téchiné (J’embrasse pas, Les Roseaux Sauvages). Michel Blanc en homosexuel quinca et vaguement réac, persuadé que les homos et les hétéros ne sont pas faits, finalement, pour être amis. Julie Depardieu, artiste en devenir, plane à 10 000 km au-dessus du monde réel. Emmanuel Béart, écrivain en manque d’inspiration, complètement dépassée par sa responsabilité de mère (voire carrément irresponsable). Et enfin Sami Bouajila, magifique, est Mehdi, son mari et le père de leur fils (auxquels ils n’arrivent pas à trouver un prénom), flic rigide, intransigeant et brutal, mais qui tombe fou amoureux de Manu. Quand Manu tombe malade, c’est tout ‘édifice qui s’effondre, les langues qui se délient, les angoisses montent.

Sans voyeurisme, sans sensiblerie mièvre, sans misérabilisme, sans démonstration aucune, en collant aux humains, Téchiné filme avec une grande pudeur un des plus grands bouleversements sociaux du 20ème siècle, l’arrivée d’un virus qui a complètement modifié les rapports entre les gens, l’insouciance sexuelle, et qui quelque part a aussi fait sortir l’homosexualité du bois. Un virus qui continue de faire des ravages et continuera probablement encore longtemps à décimer les populations les plus fragiles.

Téchiné est un réalisateur en prise avec la nature, son film se déroule sur une année, d’été à été. C’est un cycle de vie, de mort et de résurrection. Parce qu’au final, c’est sous la lumière du soleil, de la vie et du renouveau que s’achève ce beau film. On apprendra même le prénom de l’enfant de Mehdi et Sarah. Et c’est Justin (ou « juste un » ? ;-).

PS : A lire, la parfaite critique du non moins parfait Gols, là.

Chronique film : Le Direktør (Direktøren for det Hele)

de Lars Von Trier

Tout d’abord, rendons à César ce qui est à Shangols : le o barré. Merci à Gols de me l’avoir offert, présent rare et précieux, le ø restera à jamais dans mon cœur. Sans lui, cet article aurait été parsemé de Directobarrér. Shangols, votre auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu, on pourrait l’appeler l’auberge du bon Dieu s’il… oh la je m’égare là.

Revenons à notre Directør. Un acteur raté est engagé par un patron d’entreprise couille-molle pour jouer le rôle du directeur général de la boîte. Voila le début tout simple d’une histoire marrante et grinçante.

Avec le Direktør, Lars Von Trier repousse encore un peu plus loin les limites du dogme. « Abandonnant » le cadrage et le montage à une machine (merci à Shangols pour cette inestimable et primordiale information), la forme est hautement surprenante. On s’y fait bien au final, à ces non-cadres, et ce non-montage, agaçant certes, mais intéressant.

Par contre, côté écriture, là, Lars ne l’a pas abandonné à IBM. Les personnages sont tous excellents (Gols en a fait le catalogue essentiel ). L’acteur, entre Dussollier et Woody Allen, pris en étau entre sa morale et son cabotinage, la DRH qui sait s’y prendre avec les directeurs, la secrétaire terrorisée par son photocopieur, le traducteur débitant des saloperies avec un flegme exemplaire (dont le « Putains de danois », en direct du Kingdom Hospital)… ils sont tous excellemment écrits et excellemment joués, c’est « que du bonheur » comme on dirait à la télé. Grøsse cømédie très finaude, je vous conseille d’aller lire la brillante critique shangolienne ici, parce que j’ai un sacré coup de flemme pour blablater ce soir !

PS : Gols, j’en ai fait suffisamment ? ça te va ? j’aurai droit à mon susucre ? (j’aurais p’tet dû être DRH moi…)