Chronique livre : Insecte

de Claire Castillon

Style enlevé, langue acerbe, vitesse de la pensée et de l’écriture, Insecte, de Claire Castillon, se propose, en quelques nouvelles courtes de brosser un panorama des relations mères-filles. C’est trash et provocateur, vénéneux, sadique, sans pratiquement jamais une petite goutte de tendresse. Forcément, on finit par s’identifier ça et là, par se projeter dans quelques souvenirs de tensions familiales. En ça, c’est réussi et accrocheur.

Si on se laisse vite prendre par ces histoires malignes, ces retournements de situation brutaux, on a pourtant rapidement l’impression que Claire Castillon remplit soigneusement son cahier des charges. Elle a bien dû se taper toutes les émissions de Delarue traitant peu ou prou des rapports mères-filles, des enfants à problème, ou pire de Confessions intimes sur la chaîne qui est conçue pour abrutir.

La liste finit par paraître systématique et sans honnêteté, un catalogue où tout passe : inceste, retombée en enfance de la môman, crise d’adolescence, matricide, syndrome de Münchausen par procuration, enfant handicapé, gavage de médicaments forcé, abandon de bébé … Ca devient peu à peu malsain et truqueur, vaguement nauséabond, sans jamais être vraiment dérangeant (ben ouais, ça m’est arrivé de regarder Delarue, j’en connais un rayon). A lire sur un Dijon-Paris, avec des gosses qui hurlent dans le wagon.

Chronique livre : De sang-froid

de Truman Capote

 

Un peu d’appréhension à me frotter à un tel classique, je vous avoue. La première fois que j’ai entendu parler de Capote (ou plutôt de Capoté !), c’est dans « Todo sobre mi madre » d’Almodovar, puis l’année dernière la sortie du film (que je n’ai pas encore vu). Résistant aux sirènes de la promotion et de l’actualité, je n’ai pas voulu lire de Sang-Froid… et puis au détour d’un changement de train un peu long, d’une gare un peu froide, d’un Relais H. accueillant, j’ai fini par succomber.

Agréable surprise de voir que le livre était dédicacé à Harper Lee, dont l’unique et délicieux roman « To kill a Mockingbird » (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur en VF… no comment), m’a fait verser un tombereau de larmes dans un train bondé (décidément, la majorité de mes lectures ont quelque chose à voir avec les gares et les chevaux de fer).

De Sang-froid est une roman, mais non une fiction. Basé sur un fait divers réel (deux petites frappes tuent gratuitement quatre membres d’une famille méthodiste respectée d’un bled du Kansas), et sur une enquête minutieuse, le bouquin frappe d’abord par son style. Détaché, infiniment ironique sans forcément en avoir l’air, très circonstancié, on est exposé aux faits, rien que les faits, détaillés, aux histoires de chacun, chacun à sa voix, sa liberté d’expression, son point de vue exprimé. On navigue constamment entre parcours de Perry et de Dick (les meurtriers), investigation du flic Dewey, avis divers et variés des différents habitants de Holcomb (le bled). C’est tout un univers qui est recréé par ce bouquet de voix.

Sans aucun mobile apparent (la famille est un « modèle », qui ne gardait jamais d’argent liquide at home), le quadruple meurtre est résolu par le cafardage d’un ex-codétenu de Dick. Perry et Dick sont arrêtés, après un périple parsemé de délits variés, jugés coupables et, après de longues années passées en prison, pendus.

L’apparente neutralité journalistique du ton n’est qu’un leurre. Mine de rien, à force de brosse à reluire, la famille massacrée en devient agaçante de perfection. Finalement peu intéressé par ces personnages, Capote a visiblement passé beaucoup plus de temps sur la personnalité des deux criminels, et surtout sur celle de Perry Smith. Né dans une famille de saltimbanques, malmené toute sa vie, difforme à la suite d’un accident, d’une intelligence assez vive, malgré le peu d’instruction », et surtout dénué de tout sens moral, Capote réussit à faire de lui un personnage totalement attachant, ambigu et mystérieux. On sent une réelle proximité entre l’écrivain et son sujet, assez troublante.

En conclusion, que dire ? un classique, à dévorer, évidemment.

Chronique livre : Encres de Chine


de Qiu Xiaolong

Deuxième livre de Qiu X. qui me tombe entre les mains. Ses bouquins sont à classer dans la catégorie « polars chinois ». Pour vous expliquer un peu l’ambiance, on est beaucoup plus près d’un Maigret que d’un 24h Chrono. Un Maigret petit et fluet, fumeur de cigarettes au lieu de pipes, mais aimant tout autant la bouffe. Le commissaire est poète, et la notion d’urgence est très relative pour lui.

Il faut bien avouer que ses priorités vont surtout à l’appart que son chef lui a promis et lui passe sous le nez (vous allez me dire, à Shanghaï, le logement, c’est quand même un méga problème quand on a pas de pépettes), à la traduction-complémentdesalaire qu’un riche promoteur douteux lui commande, à la « petite secrétaire » sexy qu’on lui prête, aux bols de nouilles et à la poésie. Et oui, car le commissaire est poète… tout est prétexte à se remémorer un petit quatrain bancal (effet de trad ? j’en doute ), et opaque, ou même carrément ridicule (ben oui, j’avoue, je suis hermétique, mais c’est ça qui fait le charme aussi).

Bon dans tout ça, vous allez me dire « et l’enquête ? ». Ben à vrai dire, on s’en fiche un peu. Les bouquins de Qiu X. sont surtout des prétextes à décrire une atmosphère assez peu commune, sur un contexte historique, politique et économique très particulier et très fort (c’est quand même pôs la franche rigolade la Chine, y’a pôs à dire). Si « Mort d’une héroïne rouge » m’avait vraiment scotché, je me suis laissée porter gentiment par ces « Encres de Chine » (quel titre nullissime tout de même), en territoire déjà connu, mais bien agréable.

Chronique film : The Good German

de Steven Soderbergh

Faisant fi des mauvaises critiques, toute prête à monter au créneau pour défendre un réalisateur inventif, expérimentateur et hors-normes, (et, il faut être honnête, pour l’argument majeur du film, qui ferait devenir midinette même la plus endurcie des saucisses : George Clooney), j’ai mis ma plus jolie jupe noire de femme pas fatale pour aller voir The Good German.

Bon, déjà, ça partait mal, j’avais revu Notorious du grand Hitch le matin même, et faire ne serait-ce que lui arriver à la cheville aurait déjà été un exploit. Il faut le dire sans détour : ce n’est pas le cas. N’est pas Cary Grant qui veut (désolée George), n’est pas Ingrid Bergman qui veut (désolée Cate), et surtout, n’est pas Hitch qui veut (sorry Steven). Bref, The Good German est un film assez raté.

Il s’agit pourtant d’un bel exercice de style « 50’s ». Tourné dans un noir et blanc très contrasté, un peu cramé, absolument sublime, The Good German raconte l’histoire d’un officier américain (George) envoyé comme journaliste dans un Berlin divisé, fantomatique, et dévasté par la guerre. Il y retrouvera son passé, en la personne d’une femme fatale (Cate Blanchett), juive berlinoise ayant survécu au massacre.

Je ne vous en raconterai pas plus tellement l’histoire est compliquée. Ne sachant que choisir entre film de suspense et histoire d’amour, Soderbergh se noie dans un emberlificotement scénaristique et parmi des personnages secondaires trop nombreux et peu passionnants. Bref, on n’arrive jamais à accrocher vraiment, on ne comprend pas exactement les enjeux, c’est embrouillé et platounet à souhait.

Vous me direz : reste Clooney… que nenni ! Inexistant, raide comme un piquet dans son uniforme amidonné, le héros se fait casser la gueule 3-4 fois (il est vraiment glandouille quand même), sans que ça émeuve le moins du monde. Tobey Maguire s’en sort un peu mieux en petit con profiteur. Cate Blanchett capte extraordinairement bien la lumière, mais elle est à peu près aussi trouble qu’une courgette.

Pas mal filmé, mais sans magie, sans passion, sans inspiration, ne reste que ce noir et blanc sublime et un peu glacial, le mélange avec des images d’archives réussi, et ce sens du cadre assez magique que peut avoir Soderbergh (qui est d’ailleurs aussi chef op’ sous pseudo, comme d’hab). Dommage, ça aurait pu faire un putain de beau film.

Chronique film : Inland Empire

de David Lynch

Comment critiquer l’insaisissable ? Inland Empire (l’Empire de l’Intérieur) est un OFNI à l’état pur. Tourné en vidéo, saynète par saynète, sans scénario pré-établi, avec pour principal fil conducteur l’actrice Laura Dern, Inland Empire se révèle être un véritable puzzle obsessionnel, dont les pièces se superposent, sans vraiment réussir à s’emboîter.

Autant le dire tout de suite, Inland Empire ferait passer Mulholland Drive pour un film pour enfants. Après un début frappant, expérience visuelle et sonore, une histoire quasi linéaire s’installe quelques temps : Nikki, une actrice au mari jaloux, est engagée dans un film, avec un partenaire, dragueur à deux balles. Au fil du tournage, l’histoire du film dans le film, et l’histoire « réelle » se confondent pour Nikki. Puis, dérèglement temporel, et tout explose.

Les pistes se multiplient, les indices s’accumulent (de 9h45, aux lampes rouges, la chambre 47). Une femme regarde fascinée la télévision en pleurant. Un sitcom avec des humains-lapins s’impose à l’écran régulièrement. On fait des excursions dans le milieu de la mafia polonaise, puis retour sur l’histoire de Nikki, mais est-ce toujours elle ? dans ce pauvre pavillon de banlieue, avec ce mari fadasse qui veut partir dans un cirque ? Et cette femme avec son tournevis dans le flanc, qui affirme avoir quelqu’un à tuer (magnifique Julia Ormond, rare et précieuse) ?

Sans qu’on s’en aperçoive, le film brasse tous les thèmes du couple, adultère, trahison, jalousie, perte de l’enfant, angoisses, peur de l’absence. Sur la forme, on assiste à un immense zapping mental, dans lequel se côtoie documentaires, interviews, fictions, sitcoms, variétoches, tous faux, les acteurs sautent de l’un à l’autre sans barrière aucune. A la fin, la femme hypnotisée devant sa télé, l’éteint, et retrouve son enfant et son mari (le même acteur que le mari fadasse cité précédemment !), folle de joie.

Peut-être est-ce là, la clé, ou au moins une des clés de cet immense fourre-tout : l’aliénation que nous avons aux médias, cette bouillie protéiforme que nous ingurgitons, dans laquelle tout finit par se mélanger, mais qui est le miroir de nos angoisses profondes. Evidemment c’est déroutant au possible, et l’esprit essaie de capter les moindres signes de cohérence, sans jamais y parvenir vraiment. L’histoire échappe, et s’enfuit au loin, dès qu’on s’en approche. Les acteurs sont immenses, d’autant plus qu’ils travaillaient sans filet aucun.

Ce collage improbable, cet « Empire intérieur », est servi par une musique entêtante, angoissante, mais le choix de chansons ne se révèle pas forcément toujours judicieux car trop concret dans cet univers sensoriel (sauf dans le générique de fin : un homme qui utilise l’hallucinant Sinner Man de Nina Simone n’est de toute évidence pas un mauvais bougre).

Alors oui, c’est long (presque 3h), oui c’est difficile, mais il faut avouer qu’on ne s’ennuie pas une seconde, et que les méandres de cet esprit sont véritablement fascinants. Futur grand chef d’œuvre ou futur oublié du cinéma expérimental, je ne saurai le dire. Peut-être que dans 5 ans, ce film sera considéré comme limpide, comme Mulholland Drive aujourd’hui, après avoir complètement troublé les spectateurs à sa sortie. J’avoue, que quand même, pour l’instant, je m’octroie le droit de préférer au caméléon Laura Dern, la prude et perverse Naomi Watts et la glamour et fascinante Laura Harring.