Chronique livre : Rouvrir le roman

de Sophie Divry.

Le boulanger, lui, ne prétend pas changer le monde quand il invente une nouvelle forme de pain.

Quand vous avez des amis poètes et dramaturges, il n’est pas très simple d’être amatrice de romans, ces objets à peine littéraires, qui ne sont que compromission et odeurs de moisis. Vous avez beau argumenter, expliquer que votre expérience de lectrice ne correspond pas du tout à ces clichés, que le roman est polymorphe, fourre-tout, finalement assez indéfinissable et parfois extrêmement novateur.  Vous citez Claro, Gabriel Josipovici, Charles Robinson, Olivia Rosenthal et bien d’autres. Rien à faire. Vous êtes, quelque part, une vendue, incapable de comprendre ce qu’est l’Art pur et noble de l’écriture ( bisous les copains, coeur avé les doigts ). Mais que voulez-vous, moi, j’ADORE le roman.

L’idée la plus commune est que le grand public est un troupeau qui lit n’importe quoi, se trompe, guidé par des goûts médiocres et populistes.

Quel plaisir par conséquent de lire cet essai taquin, moteur et énergique qui tente de sortir le roman du placard dans lequel il est théoriquement enfermé, de dépoussiérer de ses clichés le mal-aimé d’une certaine caste littéraire. Dans une première partie, Sophie Divry tente donc de détricoter les clichés qui collent aux basques du roman. Le roman est-il impur ? corseté ? vieillot ? mercantile ? Le public amateur de romans est-il sale ? Elle apporte des réponses d’une grande liberté, à la fois factuelles (chiffres à l’appui) mais également personnelles et surtout désinhibantes. Elle égratigne au passage quelques pratiques, auteurs, maisons d’édition qui ne manqueront de s’étouffer.

Et si le roman n’est pas mort, l’histoire n’est pas finie et nous avons un rôle à jouer.

Mais ce qui rend cet essai très sympathique et intéressant, c’est que Sophie Divry ne se contente pas d’analyser le roman et ses casseroles. Elle propose des solutions. Et c’est évidemment casse-gueule de passer d’une position de scrutateur à celui d’acteur. Même si cette deuxième partie est moins étoffée que la première et paraît un peu trop partielle et superficielle (rhaaaaaa tous ces auteurs oubliés, oui, je sais, on ne peut pas citer tout le monde), elle donne à ce texte un côté fonceur et audacieux tout à fait enthousiasmant.

Pari réussi donc pour cet essai, même si, probablement, il touchera plus spécifiquement les amateurs de romans qui n’ont pas besoin d’être convaincus que le roman n’est pas mort, qu’il est même bien vivant et finalement, plutôt en bonne santé.

Ed. Notab/lia/ Les Editions Noir sur Blanc

 

 

Chronique livre : La disparition de la chasse

de Christophe Levaux.

Une ville moribonde, une gare morte avant d’avoir vécue, une entreprise, un séminaire des cadres, un hôtel, quelques personnages gelés dans leur quotidien, leurs regrets et leur incapacité à avancer.

Logique de trouver ce texte au catalogue de Quidam. Pour son premier roman, Christophe Levaux déploie une langue dense, indomptable, qui bifurque, digresse, cogne. Et c’est étonnant de lire cette Disparition de la chasse après l’excellent Article 353 du Code Pénal de Tanguy Viel. Un peu violent et injuste probablement aussi pour ce premier roman. Car des passerelles, il y en a entre ces deux textes. Un contexte d’effondrement social, un personnage principal englué dans ses petites compromissions quotidiennes. Mais là où Tanguy Viel s’échappe et réussit à donner hauteur et humanisme à son récit, Christophe Levaux suit une trajectoire inverse. Son récit se replie, s’enferme, s’englue dans sa propre noirceur. L’écriture cherche à débusquer la médiocrité des personnages dans les moindres recoins de leur vie, mais le systématisme du procédé finit par lasser, les références au caca collé au cul un peu aussi, je l’avoue.

On a tout de même du mal à trouver une structure, et tout comme cette gare flambant neuve qui dépérit avant même d’avoir été achevée, on se dit qu’il y a un problème de fondations. Reste la découverte d’une vraie écriture, et ça, c’est déjà fort intéressant.

Ed. Quidam Editeur

Chronique livre : Article 353 du code pénal

de Tanguy Viel.

Chaque fois que je lis Tanguy Viel, je ne peux retenir quelques élans d’admiration pour sa maîtrise stylistique absolue. Il n’y a jamais un mot à côté, tout est d’une précision sans faille. Article 353 du code pénal ne déroge pas à cette règle.

Deux hommes sont sur un bateau, l’un d’eux tombe à l’eau, poussé par l’autre. L’autre, Kermeur se fait arrêter et témoigne devant le juge. Un long « monologue », à la fois intérieur et à destination du juge, dans lequel Kermeur essaie d’expliquer, au plus juste de l’histoire et de ses sentiments, comment il en est arrivé à pousser par dessus bord le dit Lazenec.

Le début est un peu lent, les pièces se mettent en place une par une, constituant les fondations solides d’un récit construit autour du vide. Car l’histoire est celle d’une absence, d’une promesse non tenue, d’un projet immobilier qui ne verra jamais le jour et ruinera Kermeur, mais également toute une commune. C’est donc avec patience que Tanguy Viel met en place son récit, pour finalement révéler avec force la violence passée pendant si longtemps sous silence de la situation, la manière dont se construit la haine (et encore, Kermeur n’est pas vraiment haineux, mais finalement plutôt pragmatique), ou plutôt la réaction inévitable à cette forme de violence sociale, symbolisée par l’arnaqueur Lazenec.  Le récit m’a paru en effet, de part son énormité (l’arnaqueur sévit pendant des années sans que personne n’ose ne serait-ce que soulever le sujet, dépense sans compter l’argent qu’il vole aux villageois crédules, aucun remords de la part de Lazenec, en toutes circonstances, il agit avec l’innocence de l’agneau qui vient de naître) une espèce de miroir de la violence que représente les inégalités sociales et surtout financières (les 8 personnalités les plus riches de la planète détiennent autant que les 50% les plus pauvres, c’est ça non ? Et d’où vient leur argent sinon de l’exploitation des ressources naturelles et du travail d’autrui ?). Je vais sans doute trop loin dans mon interprétation, mais j’ai reçu le livre de cette manière, comment l’injustice sociale est une violence, qui engendre la violence, et quelles armes (peut-être, sans doute… il faut le lire) peuvent rétablir un semblant d’équilibre.

Tout ça est écrit avec la virtuosité taquine et jamais bling-bling de Tanguy Viel, toujours au service de son récit, de ses personnages, de l’humain. Beau et profond.

Ed. Editions de Minuit

Les indispensables – Livres 2016

Impossible, impossible de ne retenir que dix titres parmi toutes les merveilles lues (et pas forcément chroniquées) en 2016. Et pourtant. Après une lutte acharnée contre moi-même, voici donc les dix (arghhhh) titres du classement Racines : les indispensables 2016. Privilège aux textes, même imparfaits, parfois un peu mal fichus et pas très bien coiffés, mais qui ont chamboulé mes émotions et dont j’ai conscience qu’ils ont, quelque part, modifié quelque chose dans la façon dont je perçois le monde. Par ordre plus ou moins chronologique de lecture, tiens, pour changer.

Peindre, pêcher et laisser mourir de Peter Heller (Actes Sud)

Prendre dates de Mathieu Riboulet et Patrick Boucheron (Verdier)

La jeune épouse d’Alessandro Baricco (Gallimard)

Fabrication de la guerre civile de Charles Robinson (Seuil)

Toutes les femmes sont des aliens d’Olivia Rosenthal (Verticales)

Last love parade de Marco Mancassola (La dernière goutte)

Hiver à Sokcho d’Elisa Shua Dusapin (Zoé)

Les nouvelles métropoles du désir d’Eric Chauvier (Allia)

Le garçon de Marcus Malte (Zulma)

Watership down de Richard Adams (Monsieur Toussaint Louverture)

A noter que 2016 fût un grand cru, et que j’aurais aussi pu tout aussi bien mentionner Ali Zamir, Jean Echenoz, Mariette Navarro, Garth Risk Hallberg, Joseph Boyden, Jean Cagnard, Andréas Becker, Nicole Caligaris, Helen McDonald, Jonathan Swift, Jim Harrison, Živko Čingo, Emma-Jane Kirby, Laura Kasischke, Eric Pessan…

Chronique livre : Plancher japonais

de Jean Cagnard.

Parmi la myriade d’auteurs gentiment perchés dans leurs arbres (voir par ), Jean Cagnard est sans aucun doute celui qui me touche le plus. Plancher japonais est le troisième roman que je lis de cet auteur et jamais il ne déçoit, jamais il n’ennuie. Il faut dire qu’il n’est jamais vraiment là où on l’attend et bien malin à qui saurait prévoir la route que prendront ses phrases.

Dans Plancher japonais, Jean Cagnard raconte l’histoire d’un garçon qui trouve son chez lui, et ce chez lui c’est l’écriture. Alors évidemment, avant d’en arriver là, il tentera d’abord le tipi, il côtoiera un architecte et son chien toujours vivant, il parlera dans un bout de bois pour joindre au téléphone sa copine et il croisera Neil Young.

Mais Jean Cagnard n’est pas qu’un doux rêveur et c’est sans doute ce qui me touche le plus. Ses romans gardent toujours un pied sur le sol et les réalités élémentaires et matérielles de la vie : comment on gagne sa vie, comment on construit un tipi, comment on se fait braquer une voiture. Son socle est terrien, son personnage n’échappe pas au quotidien. Mais ce quotidien est émaillé de glissements, bizarreries sans qu’il n’y ait jamais rien de cucul-poétique-gnangnan. Et l’écriture suit, parce que mazette, que c’est bien écrit, que c’est beau. Quelle maîtrise faut-il pour emmener le lecteur avec lui dans cet univers, quelle liberté. Jean Cagnard se permet tout et ça fonctionne. Sans doute moins abouti que l’Escalier de Jack, parsemé de quelques micros longueurs, Plancher japonais n’en est pas moins un vrai délice qui émerveille à chaque page. C’est bientôt Noël il paraît.

Ed. Gaïa