Chronique film : 4 mois, 3 semaines, 2 jours

(2007) de Cristian Mungiu

Le voilà mon grand film de la rentrée. La déveine ne pouvait pas durer autant, je commençais à me demander si le cinéma n’était pas mort, et bien non, une bouffée d’oxygène provient du pays le plus triste de l’Est. Je dis bouffée d’oxygène, mais j’ai passé 1h53 en apnée.

4 mois, 3 semaines, 2 jours se déroule dans la Roumanie de 1987. Déjà c’est un choc, en 1987, la Roumanie ressemblait déjà à celle que j’ai connue en 1994. Barres de béton, délabrées et sans lumière, sol terreux, polenta, marché noir pour acheter un savon Lux (je vous jure, en 1994, les savons Lux portaient bien leur nom, sur des présentoirs derrière des vitrines de verre), cigarettes, et avortements. Ville privée de sa personnalité, de sa liberté de choix, de sa faculté de penser.

Le regard de ce film, d’une neutralité glaçante est un calque des sensations que m’avait procuré ce pays : indifférence totale, dépersonnalisation de l’individu. Pourtant, dans ce marasme glauque, une personne va prendre des initiatives pour sauver la mise à une de ses amies, enceinte, et sur le point de se faire avorter. Otilia a le visage fermé, et un sang froid à la limite de l’humainement possible. Elle court, négocie, paie un prix insensé sa loyauté envers son amie (dans la merde la copine, mais finalement assez gonflante, et on en vient, de manière assez malsaine, à douter de sa bonne foi).

Les plans, s’étirent à n’en plus finir sur des situations insupportables qui donnent envie de hurler, on est asphyxié par ces cadres immenses remplis de vide et d’horreur. Lorsque le cadre se remplit, c’est Otilia qui craque. Finalement le retour au monde réel est trop difficile, elle est déjà partie très loin, sa prise de conscience de l’équilibre instable des choses est brutale. Grand film de cinéma, incroyablement dérangeant par sa neutralité, Mungiu a bien mérité sa palme. Et une révérence à Anamaria Marinca, immense.

A lire, la bien bonne critique du bien bon Gols. .

6 réflexions au sujet de « Chronique film : 4 mois, 3 semaines, 2 jours »

  1. respirons

    Je vous rejoins sur les qualités de ce grand film, qui mérite d’avoir été récompensé.

    Cela dit, quant votre jugement sur la Roumanie comme pays le plus triste de l’est, l’indifférence totale, la dépersonnalisation : je ne suis pas d’accord.

    j’ai vécu 1 an là bas et nous n’avons pas dû aller aux mêmes endroits, du moins pas de la même manière, du moins ne pas en avoir tiré les mêmes observations.

    J’y ai fait un an de travail photo et votre description ressemble à celle d’un formaliste ouest européen, qui se fie à la couleur des crépis dans les rues et à la sympathie des guichetiers dans les magazin’. Et c’est à mon sens, une erreur d’approche.

    Alors : « marasme glauque », « ville privée ..de sa faculté de penser », si je fais suivre vos lignes à la personne qui m’a accueilli en stage au musée d’ethnologie de Bucarest : elle rira certainement de la prétention de l’européen.

    Le film de C.Mungiu ne montre pas directement et explicitement la beauté de ce pays malgré (et c’est bien cela la complexité) ce qui lui a été infligé.
    La survivance, n’est pas juste une manière horrible de supporter les méfaits d’une dictature, c’est aussi un ensemble de stratégies, solidarités, de champs politiques et poétiques qui se dégagent derrière les barrières (portails, grillages, facades dégueulasses)..

    Antoine.

  2. asphyxie

    Cher Antoine

    J’ai l’habitude de me faire tacler sur les films que je n’ai pas aimé, mais rarement sur ceux qui m’ont enthousiasmé.

    Toutes mes excuses les plus plates si mon jugement a pu vous paraître prétentieux, et formaliste, ce n’était en aucun cas l’intention. Mes paroles n’exprimaient nul mépris pour ce pays, juste une immense tristesse à voir à quel point l’Histoire pouvait ravager les terres et les hommes. Effectivement, nous n’avons pas vécu les mêmes choses. J’y ai passé une vingtaine de jours, accueillie avec méthode mais réserve par une famille l’équivalent en france de « petite classe moyenne » (à laquelle j’appartiens moi même), dans une ville de barres et de béton. Je n’ai donc gravité en aucun cercle culturel quelconque, pas pu voir l’ensemble des réalités roumaines. Je ne doute pas qu’il y ait une intense activité culturelle et artistique (vous n’êtes pas le seul à me le dire, je le crois en toute sincérité). Vous avez eu donc de la chance. Ce n’est pas ce que j’ai vécu. Comme dans tous les pays, la diversité des situations doit être immense. Le film m’a exactement replongé dans ce que j’avais vu, vécu, et ce n’était pas gai. Je suis revenue de ce pays infiniment triste, triste de voir ce que la stupidité des grands de ce monde peut provoquer.

    Anne la prétentieuse européenne

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