Chronique livre : En un monde parfait

de Laura Kasischke.

Attention, objet littéraire hautement addictif. Difficile de lâcher ce livre, tant on est happé par cette histoire d’une douceur et d’une noirceur infinies. Jiselle est hôtesse de l’air, et se dégote le beau parti de sa compagnie aérienne, le magnifique capitaine Mark, veuf, avec trois enfants. Farouchement indépendante, elle se laisse pourtant amadouer, et devient femme au foyer pour les beaux yeux de son mari toujours absent. Les rapports avec les gosses sont pour le moins houleux. Si le petit dernier, Sam, l’adopte assez rapidement, les deux adolescentes, Sara et Camilla, sont nettement plus récalcitrantes. Jiselle, qui n’a jamais eu d’enfant, et de talents ménagers, se débrouille seule avec les gosses et la maison, comme elle peut, avec bonne volonté. Et puis, peu à peu, presque imperceptiblement le monde extérieur commence à exploser : une mystérieuse grippe décime la population, l’électricité devient vacillante, le carburant rare, l’école fermée … Mark est coincé en quarantaine en Allemagne (ou pas ?), et le reste de la petite famille reconstituée reste bien sagement dans la maison à l’attendre, et à affronter les événements extérieurs.

En un mode parfait, c’est une espéce de “survival book”, mais à l’échelle du cocon familial. On pense évidemment à La route de Cormac MacCarthy, mais les personnages d’En un monde parfait ne fuient pas, ils choisissent de rester là où ils habitent. Manque d’instinct de survie, de groupe ou d’esprit pratique, il n’empêche que cette situation ne leur réussit pas si mal que ça. Alors que le monde s’écroule autour d’eux, la famille éclatée se recompose peu à peu, ou plutôt se compose.

Avec une grande subtilité et une étonnante douceur, Laura Kasischke raconte son histoire, et distille au goutte à goutte les éléments de compréhension de cette histoire familiale. Autant le monde extérieur devient opaque, et bordélique, autant le cocon familiale trouve de la cohérence et de la lumière. Le chaos extérieur sert de révélateur au chaos intérieur, et permet ainsi de clarifier les choses et d’apaiser les tensions. L’univers que crée l’auteur, est un mélange d’horreur et de merveilleux. Au fur et à mesure de l’effondrement de la société moderne, la famille opte par la force des choses, mais sans lutter contre, pour un mode de vie plus simple. La nature qui environne la maison devient alors à la fois menaçante, nourriciére et vaguement féerique. Le livre est peuplé de bestioles, accusées de tous les maux par la population, mais bien acceptées par la famille. De l’oie Béatrice, qui devient l’animal domestique, au furtif Cougar qui croquerait bien la blanche Béatrice, toute une panoplie d’animaux évoluent dans les pages du livre.

Ce qui émerveille dans ce monde parfait, c’est l’incroyable talent de Laura Kasischke pour faire progresser son histoire, sans avoir l’air d’y toucher. Par minuscules grains de sable, elle enraye l’engrenage, ou au contraire dégrippe le système avec une minuscule goutte d’huile. On s’en aperçoit à peine, et la construction ultra-rigoureuse (découpage en chapitres de tailles à peu près équivalentes) rend cet objet littéraire hautement addictif. Une magnifique découverte pour moi, que je vous conseille avec chaleur. Allez, pour Noël, faites vous un cadeau.

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