Chronique livre : Plancher japonais

de Jean Cagnard.

Parmi la myriade d’auteurs gentiment perchés dans leurs arbres (voir par ), Jean Cagnard est sans aucun doute celui qui me touche le plus. Plancher japonais est le troisième roman que je lis de cet auteur et jamais il ne déçoit, jamais il n’ennuie. Il faut dire qu’il n’est jamais vraiment là où on l’attend et bien malin à qui saurait prévoir la route que prendront ses phrases.

Dans Plancher japonais, Jean Cagnard raconte l’histoire d’un garçon qui trouve son chez lui, et ce chez lui c’est l’écriture. Alors évidemment, avant d’en arriver là, il tentera d’abord le tipi, il côtoiera un architecte et son chien toujours vivant, il parlera dans un bout de bois pour joindre au téléphone sa copine et il croisera Neil Young.

Mais Jean Cagnard n’est pas qu’un doux rêveur et c’est sans doute ce qui me touche le plus. Ses romans gardent toujours un pied sur le sol et les réalités élémentaires et matérielles de la vie : comment on gagne sa vie, comment on construit un tipi, comment on se fait braquer une voiture. Son socle est terrien, son personnage n’échappe pas au quotidien. Mais ce quotidien est émaillé de glissements, bizarreries sans qu’il n’y ait jamais rien de cucul-poétique-gnangnan. Et l’écriture suit, parce que mazette, que c’est bien écrit, que c’est beau. Quelle maîtrise faut-il pour emmener le lecteur avec lui dans cet univers, quelle liberté. Jean Cagnard se permet tout et ça fonctionne. Sans doute moins abouti que l’Escalier de Jack, parsemé de quelques micros longueurs, Plancher japonais n’en est pas moins un vrai délice qui émerveille à chaque page. C’est bientôt Noël il paraît.

Ed. Gaïa

Chronique livre : Grosses joies

de Jean Cagnard.

Chronique publiée initialement dans le numéro 27 de l’indispensable Revue Dissonances.

grosses-joiesUn chien traverse la page, il n’a rien à faire là, mais il est là quand même. Le lecteur s’en étonne et le narrateur lui-même

« C’est assez étrange la présence d’un chien sur un parking d’aéroport mais il y a des jours où les parois du monde se montrent particulièrement perméables ».

Donc le chien est là et ce n’est pas la seule singularité de ces Grosses joies au titre non usurpé.

Jean Cagnard signe, après son merveilleux roman L’Escalier de Jack, un recueil de nouvelles étonnantes. Les situations y sont somme toute banales : un voyage, un enterrement, une visite à la famille, une partie de pêche. L’auteur réussit à métamorphoser toutes ces historiettes. Le commun n’a ici pas sa place, il se trouve décalé, transfiguré, rêvé

« car il y a toujours quelque chose de surnaturel à se trouver au bord de l’eau où les petites joies deviennent mystérieusement de grosses joies »

Chaque texte déploie son univers unique de fausse simplicité, de vraie fantaisie, d’absurde drôle et léger mais surtout d’infinie mélancolie. Car il ne faut pas s’y tromper, derrière ce quotidien réinventé pointe à tout moment la violence, la mort, la solitude. Cet homme est rejeté par sa famille, cette femme par son mari, celui-ci perd son travail. A l’improviste, la phrase bifurque, détourne l’attention du lecteur, élude la tristesse pour mieux la révéler. En toute discrétion et avec une classe absolue.

Alors, le sourire aux lèvres et le cœur fissuré, on regarde à nouveau passer le chien. Cette fois-ci la bête est peinte en bleu et Jean Cagnard de nous murmurer

« Rien n’indique qu’elle en attend plus que ça de l’avenir ou même de l’humanité ».

Ed. Gaïa

Chronique livre : L’escalier de Jack

de Jean Cagnard.

Voilà un livre dans lequel on se sent, mais oui mais oui, vraiment très bien. C’est assez rare, alors on le souligne. Sans doute ce “Vous” derrière lequel se dissimule Jean Cagnard, qui ouvre ainsi grand la porte de son récit au lecteur, mais aussi par la lumière et la poésie qui s’en dégage.

L’escalier de Jack raconte donc les différents, et très nombreux, gagne-pains du narrateur depuis son enfance et jusqu’à la rencontre avec l’écriture, et la femme de sa vie. Il sera ramasseur de patates, cueilleur de fraises ou encore saltimbanque, pour finir maçon et bien sûr écrivain. Le périple, car s’en est un, est raconté avec un humour dévastateur mais toujours sur le fil de l’émotion vraie. Parce que dans sa famille, on ne plaisante pas avec le travail. Le père est ouvrier spécialisé et rêve pour ses enfants, sans doute, de réussite sociale. Mais que faire de ce grand escogriffe, qui quitte l’école très vite, et part gagner sa vie sur les routes en louant ses bras et ses cheveux longs ? Le récit saute d’une activité à l’autre, mais on voit se profiler derrière tout ça la désagrégation familiale, l’incapacité à communiquer et à se comprendre. Le narrateur est dans un monde différent de ses parents, et on sent bien que malgré les efforts de tout le monde, ça ne fonctionnera jamais.

Au-delà de la chronique familiale qui m’a vraiment touchée, c’est surtout l’écriture de Jean Cagnard qui séduit. C’est une écriture en liberté, mouvante, vivante. On sent qu’il y a un amour immodéré des mots et des livres, mais jamais les références (Kerouac, Hemingway, Steinbeck…) ne sont pesantes ou envahissantes. Jean Cagnard trace sa route toute personnelle dans la langue, une langue légère, rythmée, imagée, poétique, vagabonde. C’est infiniment juste, et infiniment drôle. On rit beaucoup à la lecture de ces tribulations, de cet escalier des métiers qui permet de cheminer, de trouver sa voie et sa voix.

On pense à François Bon et son Autobiographie des objets : pour celui-ci, l’intellectuel, la révélation de l’écriture se matérialise par une armoire à livres, et tout son livre tend vers cette armoire. Pour Jean Cagnard, le travailleur physique et smicard, la révélation se fera en ramassant des salades, et de la même façon, tout son parcours et ce catalogue pour arriver à la révélation de l’écriture.

Alors tant pis si certains passages sont un peu longs ou répétitifs, et qu’on finit par oublier certaines étapes de ce cheminement, plusieurs scènes valent à elles seules la lecture de L’escalier de Jack (l’incorporation par exemple, fabuleux). C’est beau, touchant, drôle, poétique, et la lectrice que je suis s’est sentie invitée à partager ce moment. Et c’est particulièrement agréable.

Ed. Gaïa