Chronique livre : Les heures souterraines

de Delphine de Vigan.


Clic-clac. Avec la souris. Dessus. Hop.

Livre lu en avant-première dans le cadre du prix Fnac de la rentrée littéraire 2009, et à l’inverse de La Perrita précédemment commentée, un peu plus surprise de ne pas le voir apparaître dans la sélection. Non pas que le livre m’ait absolument renversé, il souffre quand même d’un gros défaut de construction, mais il me semblait que son sujet et traitement possédaient une charge émotionnelle suffisante pour bousculer le lecteur.

Delphine de Vigan construit un roman urbain, mêlant deux histoires : celle d’une femme active prise dans la spirale infernale du harcèlement moral, et celle d’un médecin usé. L’écriture est sèche et nerveuse, parfois audacieuse, assez moderne, malheureusement parasitée par des tics d’écriture assez désagréables (répétitions des débuts de phrases notamment, trop systématiques). Malgré cela, on se passionne, et on souffre pour cette femme torturée par son boss. Les mécanismes du harcèlement moral sont décortiqués avec minutie et m’ont fait hurler à l’injustice. De Vigan excelle également à plonger ses personnages dans cet univers urbain étouffant et carnivore de la région parisienne, c’est une belle réussite.

En comparaison, l’histoire du médecin manque de rigueur, oscillant entre histoire d’amour et usure professionnelle. On se demande bien ce que vient faire là cette histoire d’amour, alors que le sujet du roman est visiblement ailleurs, entre aliénation au travail et aliénation à la ville. Cette faiblesse déstabilise l’ensemble de l’édifice, rendant le roman boiteux et inégal. L’impression à la sortie du livre est par conséquent assez mitigée, mais au final, c’est tout de même elle qui gagne, puisque deux mois après la lecture du livre, il continue à me flotter dans la tête. Frontal, inconfortable, Les heures souterraines est un livre intéressant, et, bien qu’imparfait, me paraissait un meilleur candidat à la sélection des adhérents que La Perrita d’Isabelle Condou, certes, sans doute plus abouti, mais plus classique.

Chronique livre : La Perrita

d’Isabelle Condou.


Dans la paille de ses poils, je fourrerai mon nez. Clique sur la Perrita (ou presque)

Première critique concernant les bouquins lus en tant que membre du jury Fnac de la rentrée littéraire 2009. Quelle surprise de voir ce livre dans la sélection des adhérents ! Bien qu’étant tout à fait synpathique, il me semble un peu lisse pour mériter une distinction particulière entre les centaines de sorties de cette rentrée littéraire.

On est tout d’abord plutôt agréablement surpris par la qualité de l’écriture. Isabelle Condou écrit d’une langue belle, maîtrisée, mais très très classique. On se laisse porter gentiment, mais sans exaltation non plus dans cette histoire pourtant forte. Car le livre est ambitieux dans son sujet : au travers du portrait de deux familles que tout oppose et liées par un lourd secret, on (re)découvre une Argentine meurtrie, marquée par son Histoire, cette Histoire impacte la vie des gens.

On ne peut pas dire qu’Isabelle Condou échoue dans son projet, bien au contraire. Le livre est vraiment très finement construit, mêlant les deux histoires de manière intelligente, et visiblement les autres adhérents Fnac ont adhéré. Malgré tout ça subsiste une certaine impression de transparence, on n’arrive pas franchement à se passionner pour ce livre trop parfait, trop lisse : pas assez d’aspérités, le livre est appliqué et concerné, mais finalement pas assez vivant et un peu impersonnel.

C’est cependant prometteur, et nul doute que ce livre irréprochable n’obtienne un joli succès auprès de ses lecteurs.

Chronique livre : Impardonnables

de Philippe Djian.


Etouffé par mes modèles, je peinais. Un coucou hululait au loin.
Clique photo.

Pas une grande spécialiste du Sieur Djian (je crois qu’à part Impardonnables, je n’ai lu qu’Echine, provenant du même irremplaçable fournisseur d’ailleurs), donc j’ai un peu de mal à juger en quoi Impardonnables est, comme visiblement il l’est, un livre somme pour son auteur. En fait, j’ai un peu eu la même impression en lisant Impardonnables qu’en lisant Un homme de Philip Roth : on est en face de roman d’hommes vieillissants qui avouent leur impuissance et leur incompréhension face au monde qui les entoure, et qui par conséquent préfèrent s’en écarter, l’un gréographiquement, l’autre via l’écriture.

Là où Impardonnables réussit c’est dans la peinture de ses différents personnages, hommes et femmes imparfaits, incomplets, immatures, impardonnables. Djian décrit bien cette famille comme une somme d’égoïsmes, incapables d’affronter ce qui importe vraiment, et préférant fuir par tous les moyens possibles. Le constat n’est pas gai et empreint d’une amère fatalité. C’est ce qui est beau, mais aussi ce qui gène un peu, cette façon de dire « on foire, mais après tout, on n’y peut rien ». Les protagonistes ont tous plus ou moins déjà abandonné la partie.

Ce qui m’a cependant le plus embêté dans le roman, c’est l’écriture. On sait Djian à la recherche de la phrase juste, de l’importance qu’il souhaite apporter à la manière de dire (voir l’interview assez intéressante ici). Malheureusement, et comme il l’avoue lui-même, trouver la bonne façon de dire les choses ça n’est pas simple, et je suis relativement insensible à sa plume. Clairement, Impardonnables sent la sueur, la rédaction n’a pas dû être simple, et pour débloquer la situation, Djian a souvent recours à des recettes toutes faites. Genre, en plein milieu d’une scène, une référence à la nature. Par exemple (j’invente) : « Je la regardais partir, impuissant. Le vent faisait bruisser les aiguilles de pin. » Ça pourrait être joli si ce n’était pas systématique. A ce point là, on ne peut pas parler de style, mais de course après un style.

J’admire l’intention et la persévérance, Djian a sans nul doute possible les bonnes références et les bons maîtres, mais il a encore quelques années de dur labeur pour réussir à atteindre la perfection stylistique qu’il recherche. Impardonnables est tout de même un joli roman, au final assez beau et qui serait a priori adapté pour le grand écran par Téchiné. Là ça promet d’être grand.

Chronique livre : Mexico quartier sud

de Guillermo Arriaga.

« Je ne peux pas dormir, j’ai peur. Je crains la nuit parce qu’elle peut tout me prendre ».


Art moderne cracra ? Clique.

Mexico, c’est pas la joie. Le long de ces quinze courtes nouvelles, Arriaga (scénariste de talent d’Inarritu, et nouvellement passé derrière la caméra) dresse le portrait glaçant d’un quartier de Mexico. Les bons sentiments, les protagonistes ne connaissent pas. Entre les gamins qui assassinent après l’avoir violée leur petite cousine ou le gars qui se suicide par la gangrène (ouais enfin, il faut le lire), ou enfin l’infâme docteur Rio qui revient dans quelques unes des nouvelles, la galerie de portraits est assez effrayante.

Le style est sec, éclaté, lapidaire, c’est noir, drôle, grinçant, et parfois insoutenable. Alors, quand les sentiments vrais, la tendresse apparaît, c’en est bouleversant tant elle semble incongrue et déplacée. Les nouvelles, comme souvent dans les recueils sont assez inégales, mais certaines impriment leur marque profondément. Une belle découverte à réserver aux jours où on a la pêche.