Chronique livre : Fabrication de la guerre civile

de Charles Robinson.

Un corps raconte toujours une manière de faire la guerre.

FabricationdelaguerrecivileDe temps en temps dans ta vie, tu rencontres quelqu’un dont le cerveau ne tourne visiblement pas à la même vitesse que le tien, dont les capacités d’analyse, de détection de la faille sont sidérantes de rapidité. Charles Robinson fait visiblement partie de ces gens-là. Dans les cités me faisait découvrir un écrivain déroutant et passionnant, Fabrication de la guerre civile m’a donné envie de ululer en courant nue sous la pluie. Non mais sans blague, quelle claque, oh lecteur.

C’est à dire qu’on ne sait pas vraiment pas où commencer avec cette merveille. Suite de Dans les cités ? Roman choral ? Affreux bordel ? Mine de trouvailles ? Explosion poétique ? C’est tout ça à la fois, mais finalement tout ce qu’on pourra en dire sera vraiment trop peu.

Avant le béton et les politiques de la ville, les Cités sont formées comme pour n’importe quel autre point du monde, de familles, d’amitiés et d’amours, incubateurs puissants des malheurs intérieurs.

La capacité de Charles Robinson à manier des dizaines de personnages, de lieux, de registres de langue est à elle seule une raison suffisante pour acheter et lire ce livre. C’est virtuose, aucun doute là-dessus, et complètement bluffant. Un peu comme quand on en arrive à la dernière saison de sa série américaine préférée, que le scénario est parti dans tous les sens et que l’équipe d’auteurs arrive à trouver le truc qui relie le tout, qui met de la cohérence, de la lumière, de l’ordre dans le joyeux bordel, bref à insuffler de la vie. Fabrication de la guerre civile, c’est un peu ça, un concentré de vies, des lignes qui se croisent, une géographie de l’humain, un drame shakespearien labellisé 9-3.

C’était ça aussi, Paris : l’extérieur est joli, mais quand tu pousses une porte c’est le sous-développement locatif. En plus, Paris, c’est un peu loin de tout.

Et revenons un instant sur la capacité d’analyse et de détection des failles (auto-citation), non mais parce que le gars réussit en une phrase à te démonter toute la sociologie d’une génération ou à relever le signifiant dans le moindre bout de tee-shirt. Oui, je sais, je m’explique mal –> vous n’avez qu’à aller l’acheter (astuce !). Pour être plus sérieuse, Charles Robinson a une faculté bluffante à s’accaparer les langages, les symboles (banlieues, institutionnels, politiques…) et à malaxer tout ça pour créer, ou plutôt recréer, réinventer, révéler les codes, les langues, les cadres… tout en les faisant exploser. Il y a beaucoup de pages, et pourtant pas une devant laquelle on ne s’exclame « oh là ! ici ! la belle bleue ! la belle rouge ! ouiiiii ! ». Non mais les « smileys Robinson » quand même, sans rire, génial non ?

Viols, traîtrises, vengeances. A deux millénaires près, nous serions tous dans la Bible.
Vous nous adoreriez.

La virtuosité t’ennuie me diras-tu ? Ce qu’il te faut, ce sont des histoires, des vraies, avec des sentiments, un développement, du drame, un épilogue ? Les romans de petits malins, très peu pour toi ? Mon pauvre ami, il y a tout ça également dans cette merveille. Des amours contrariées sous fond de guerre civile (–>Autant en emporte le vent), des amours fantômes (–>Vers l’autre rive), des amours déçues (–> Nous ne vieillirons pas ensemble).

Il y a tout est plus encore dans Fabrication de la guerre civile, politique, sociologie, drame. C’est passionnant et je ne sais plus quoi faire pour que tu cours chez ton libraire, oh lecteur. Fais-moi plaisir, fais-toi du bien, lis cette merveille.

Ed. Seuil

Chronique livre : Orages ordinaires

de William Boyd

oragesordinairesPas lu de Boyd depuis quelques siècles, et ce n’est pas pour rien. Orages ordinaires n’a rien de honteux, mais ne rentre pas vraiment dans les catégories de livres vers lesquels mes goûts me portent de plus en plus.

Adam est climatologue et postule dans une prestigieuse université londonienne. Mais c’est sans compter sur la malchance. Il croise la route d’un chercheur en médecine qui a le mauvais goût de se faire trucider peu après avoir croiser Adam. Notre héros est accusé et contraint de se planquer. Mais pour regagner sa liberté, il faut qu’il prouve son innocence au monde entier. Continuer la lecture de Chronique livre : Orages ordinaires

Chronique livre : Dans les Cités

de Charles Robinson.

Comment manifester un territoire mental ?

Dans-les-citesUn cabinet d’architecture est mandaté pour gérer la démolition et la reconstruction d’une cité de banlieue. Prudent, il demande à un ethnologue de prendre le pouls de la cité. L’homme, convenablement introduit, rencontre des gens, s’immerge dans cette cité, sa géographie, sa vie (ou plutôt ses vies), et loge chez sa sœur, habitante de la cité, qu’il surnomme affectueusement l’Opossum.

Dans les Cités est une immersion en trois dimensions dans l’univers de ces zones mal-aimées, dénuées d’Histoire, et pourtant porteuses de toute une mythologie. Continuer la lecture de Chronique livre : Dans les Cités

Chronique livre : Une femme avec personne dedans

de Chloé Delaume.

Déconstruire les modèles

unefemmeavecpersonnededansTrouver des livres à lire pendant les fêtes va, je le sens, devenir ma spécialité*. Après Plaidoyer pour l’éradication des familles lu l’année dernière dans un train rempli de familles rentrant chez elles après Noël, et qui m’a fait passer à deux doigts du lynchage, voici Une femme avec personne dedans, grand « roman » de la déconstruction des schémas familiaux classiques, couple –> enfants –> Bonheur, ou comment lutter contre l’hétéro-norme très tôt acquise de l’heureux dénouement. Continuer la lecture de Chronique livre : Une femme avec personne dedans

Chronique livre : Peste & Choléra

de Patrick Deville.

Il finira sa vie heureuse de solitaire dans la simplicité des jours et l’insatiable curiosité.

Que dire de Peste & Choléra voué d’avance à devenir un best-seller ? Plutôt du bien. Même si. Patrick Deville nous emmène dans son sillage à la découverte d’Alexandre Yersin, scientifique touche à tout et découvreur du bacille de la peste (Yersinia pestis). Quasiment oublié en France, Alexandre Yersin est pourtant un scientifique génial (et chanceux) ainsi qu’un personnage romanesque hors du commun : médecin, aventurier, découvreur, agriculteur, bricoleur, il a tout fait dans sa vie, tout testé, mué par une énergie inaltérable. Il meurt pourtant fort vieux et fort tranquillement, en observant les marées, dans le coin de paradis vietnamien qu’il s’était choisi.

L’auteur, se matérialisant de temps en temps dans le roman sous la forme d’un “fantôme du futur”, dresse le portrait de Yersin de manière vivante, ironique, avec fougue et enthousiasme. On ne peut qu’admirer la culture (immense) de Patrick Deville. Il recréé avec beaucoup de justesse l’ambiance et l’environnement politique de l’époque, ainsi que les décors dans lesquels évolue Yersin. Tout ça est bien, brillant, ruisselant de références et d’enthousiasme. Peste & Choléra est sans aucun doute un livre fort recommandable qui enchantera n’importe quel lecteur à qui vous l’offrirez.

Malheureusement, j’ai fort peu de goût pour les hagiographies, et le livre de Patrick Deville flirte en permanence avec la tentation de l’admiration extatique. On passe sous silence les échecs un peu embarrassants de Yersin (son sérum anti-pesteux, mis au point à la va-vite et mal ficelé, fera mourir très bien quelques cobayes humains), pour mettre en lumière les petites faiblesses du génie (car il l’était), et surtout ses réussites. On n’a beau chercher la faille de ce personnage inébranlable, on ne la trouve pas, on ne trouve pas ce petit truc qui pourrait entrer en résonance avec notre propre vécu.

Deville échoue, là où Echenoz réussissait merveilleusement dans Des éclairs, à transformer un personnage historique en personnage intime de chair, d’os et de sentiments. Et puis, que voulez-vous, ce genre de biographie tagada boum-boum, pour moi, ça sent déjà la naphtaline.

Peste & Choléra demeure un roman impeccable, si soigneusement empaqueté que rien ne peut s’en échapper. Tout ça est parfaitement parfait. Mais ça ne suffit pas.

Ed. Les éditions du Seuil.