Chronique livre : L’intelligence des plantes

de Stefano Mancuso et Alessandra Viola.

En somme, plutôt que de chercher les limites inexistantes d’un domaine où l’intelligence apparaîtrait comme par magie, il semble bien plus justifié, du point de vue de l’évolution, de la concevoir comme une faculté inhérente à la vie.

Voilà un livre qui a fait le buzz à sa sortie en Italie, puis dans le reste du monde, il y a déjà 5 ans. Il a mis tout ce temps à traverser la frontière et on se demande bien pourquoi. Son objectif ? Réenchanter le regard que l’on peut porter sur le monde végétal, réhabiliter les plantes dans tout ce qu’elles ont de vivant et de vital à la survie du monde animal. Soyons clairs, les plantes étaient là avant nous, elles seront là après nous (si on ne fait pas exploser la planète d’ici-là). Sans les plantes, pas d’animaux et donc pas d’espèce humaine. On leur doit le respect et après avoir lu ce livre, on se demande même s’il n’est pas plus cruel de manger de la salade qu’un bon steak (vous allez me dire que le steak aura boulotté plein d’herbe et que c’est sans doute se mettre la tête dans le sable et ne pas assumer sa violence alimentaire envers les végétaux).

Pour ceux qui n’ont jamais approché une plante, le livre est suffisamment vulgarisé pour être largement accessible. Pour ceux qui ont fait un peu de botanique (ce qui est mon cas, il y a fort fort longtemps), le livre constitue une bonne remise à jour des connaissances sur le fonctionnement des végétaux, mais sous un angle dès le départ original de la comparaison des stratégies de survie entre monde animal et végétal. D’un côté la sédentarité (la dépendance géographique) et l’autotrophie (l’indépendance alimentaire), de l’autre côté le nomadisme (l’indépendance géographique) et l’hétérotrophie (la dépendance alimentaire).

Pourquoi les plantes sont-elles encore autant méprisées et sous-considérées ? Peuvent-elles voir, sentir, toucher ? Communiquent-t’elles ? Sont-elles capables de s’adapter à leur environnement ? Bref, les plantes sont-elles intelligentes ? Autant de questions et de réponses qui prouvent de manière éclatante qu’on est bien peu de chose et que mon amie la rose m’a p’tet bien dit quelque chose ce matin, mais que je n’ai rien capté. Car ce n’est pas parce qu’on n’a du mal à dépasser sa propre appréhension du monde, à appréhender quelque chose en son entier, que cette chose n’existe pas.

Ce qui est problématique, c’est, à mon sens, de qualifier (en quatrième de couverture) ce livre de « véritable manifeste écologique ». Car au travers de quelques petits exemples (permettre à toutes les plantes cultivées de capter l’azote atmosphérique, faire pousser des salades sur des barges flottantes équipées de panneaux solaires…), Stefano Mancuso montre son intérêt pour des « solutions miracles » qui, justement, font fi des écosystèmes et donc de l’écologie (p.m. la science « de l’habitat », c’est à dire, la science qui étudie les êtres vivants dans leur milieux et les interactions entre eux (wikipédia)).

Malgré tout, la réflexion est passionnante et intelligente. A coup sûr le regard du lecteur en sera changé durablement sur le monde végétal.

Ed. Albin Michel
Trad. Renaud Temperini

PS : Bon, mais c’est bien gentil tout ça, mais mon ficus a toujours les feuilles qui jaunissent.

Chronique livre : Docteur Sleep

de Stephen King.

doctorsleep600C’est quand même beau quand tes idoles d’adolescence réussissent à ne pas sombrer, et même à donner un souffle nouveau à leur œuvre après plusieurs décennies de bons et loyaux services.

Doctor Sleep n’est pas le grand chef d’œuvre du King, certes, mais tout de même, qu’est ce que c’est bon. Le livre reprend le personnage du petit garçon dans Shining, Dan Torrance. Qu’est devenu le petit Danny après les événements survenus à l’hôtel dans la montagne ? A-t’il réussi à vivre une vie normale ? Pas tout à fait, bien évidemment. Continuer la lecture de Chronique livre : Docteur Sleep

Chronique livre : Muette

d’Eric Pessan.

Muette parle, (…) pour mieux masquer à quel point elle habite le silence.

muetteMuette est à l’âge de tous les dangers, l’adolescence pleine de questions, de bouleversements psychiques et physiques. Muette fuit sa vie, toute petite, ses parents, indifférents, et se réfugie dans une grange abandonnée, à quelques kilomètres de chez elle. Seule, confrontée à la nature, au champ des possibles et à ses propres limites Muette fait le point, laisse venir à elle ses pensées, ses blessures, ses rancoeurs, ses aspirations. Viennent parasiter ses pensées, en phrases brèves et fulgurantes, les paroles de ses parents, récriminations toujours ressassées, des plus anodines aux plus pernicieuses. Continuer la lecture de Chronique livre : Muette

Chronique livre : La Poupée

de Daphne Du Maurier.

lapoupeeEtonnant recueil de nouvelles d’une des héroïnes littéraires de mon adolescence, Daphne Du Maurier. Nouvelles de jeunesse, publiées de manière éparse dans différentes revues, les textes qui composent ce volume présentent néanmoins une grande homogénéité dans le ton, d’une lucidité et d’une cruauté absolument terrifiantes. Continuer la lecture de Chronique livre : La Poupée

Chronique livre : Les affreux

de Chloé Schmitt.

Premier livre d’une toute jeune femme, Les affreux surprend plutôt agréablement par l’originalité de son sujet : un homme cloué dans un fauteuil par un AVC commente le monde dans lequel il vit. Poids mort à la charge de sa famille, il est baladé de maison en appartement et décortique les réactions de ses proches, que sa présence immobile bouscule.

Au crédit de Chloé Schmitt, on peut porter une approche intéressante de la langue, une langue très parlée, heurtée, émaillée de quelques surprenantes phrases définitives, et d’un sens du rythme, malheureusement trop ponctuel.

Cependant, au-delà de l’audace du sujet, et de quelques beaux morceaux stylistiquement parlant, le roman est très inégal. Certains passages, très faibles, bourrés de facilités d’écriture (insupportable multiplication des points d’interrogation par exemple), révèlent la jeunesse « littéraire » de l’auteure. Heureusement, on sent une progression au fil de la lecture, et on se dit que Chloé Schmitt pourra sans doute se bonifier avec la pratique. Autre point dérangeant, et sans doute lié à sa jeunesse, cette « vision volontairement noire et cracra du monde, mais émaillée de petits éclairs de lumière tellement émouvants quand même. »

Se mettre dans la peau d’un homme d’une quarantaine d’années cloué dans un fauteuil, c’est un sacré challenge pour une jeune femme, et l’univers qu’elle essaie de créer a quelque chose d’assez factice dans sa laideur, une laideur un peu forcée, trop composée pour être sincère. Sur ce point, j’ai beaucoup pensé au raté On ne boit pas les rats-kangourous d’Estelle Nollet : deux premiers romans, même éditeur (Albin Michel), deux jeunes auteures, une même tentative de créer un livre très sombre, au style parlé, probablement même références littéraires… Mais là où Estelle Nollet essayait de nous apprendre un peu c’est quoi la vie à la fin de son roman, et c’était particulièrement gavant, Chloé Schmitt réussit au final à presque emporter l’adhésion grâce à son dernier chapitre. L’auteure n’a aucune leçon à nous asséner, et c’est très bien comme ça.

Malgré tout, Les affreux apparaît plus comme un simple exercice de style « Vous raconterez en 200 pages la vie d’une homme qui a perdu l’usage de son corps et de sa parole », que comme un véritable premier roman. Nul doute que ce livre, accompagné d’un bon plan com’ autour de la jeunesse de son auteure, sera très apprécié. Pour moi, c’est la moyenne, mais avec de très sincères encouragements, et une curiosité certaine pour la suite de l’aventure.

Ed. Albin Michel