Chronique livre : Soumission

de Michel Houellebecq.

De même, un livre qu’on aime, c’est avant tout un livre dont on aime l’auteur, qu’on a envie de retrouver, avec lequel on a envie de passer ses journées.

soumissionJe sens déjà les quolibets, les ricanements goguenards, le froncement de sourcils, la moue un peu dégoutée de certains de mes lecteurs. Mais voilà. Soumission est un excellent livre, infiniment drôle, intelligent, lucide et désespéré. Continuer la lecture de Chronique livre : Soumission

Chronique livre : L’écrivain national

de Serge Joncour.

C’était l’enfer.

lecrivain-national600Un coin de campagne blotti contre la forêt, une petite ville tranquille aux projets d’avenir industriel, tout commençait au mieux pour notre héros, écrivain invité par les libraires du village à passer quelques temps dans cet univers bucolique. Bon d’accord, c’est l’automne, il pleut tout le temps, un habitant a disparu et surtout on est dans le Morvan. Mais tout de même. Continuer la lecture de Chronique livre : L’écrivain national

Chronique livre : L’Amour sans le faire

de Serge Joncour.

Vous connaissez le dicton “Femme qui rit, à moitié dans ton lit”. Les participations de Serge Joncour aux Papous dans la tête, provoquant généralement en moi des vagues d’hilarité parfois incontrôlables, comprenez ma déception à la découverte du titre de son nouveau roman L’Amour sans le faire ! Voilà qui est bien fâcheux me dis-je. Sans le faire, sans le faire, c’est bien triste. Caramba, encore raté. Mais tout de même, comme je suis bonne fille, me voilà le livre bien calé sous le bras.

D’un côté Franck, cameraman parisien, part voir ses parents dans le Lot après dix ans d’absence. La dernière fois qu’ils se sont vus, c’était pour l’enterrement du frère « celui qui est resté » de Franck, Alexandre. De l’autre Louise, veuve d’Alexandre, vit à Clermont-Ferrand. Elle a confié la garde de son petit garçon, né d’un coup de passage après le décès d’Alexandre, aux parents des deux frères. Pendant les vacances elle part voir son fils, Alexandre junior.

Franck et Louise, qui se connaissent à peine se retrouvent dans cette ferme isolée du Lot en compagnie du petit garçon. Les parents sont partis à la mer pour quelques jours. Ce lieu représente leur passé à tous les deux, mais un passé qui n’est pas commun, exempt de souvenirs partagés. L’Amour sans le faire c’est donc la rencontre en forme d’évidence de ces deux solitudes (sortez les mouchoirs), ranimées par l’énergie solaire de la jeunesse (sortez les violons).

Alors certes, dit comme ça, ça peut paraître un peu gentil-gentil. D’ailleurs on se doutait bien quelque part que derrière tout cet humour, Joncour cachait un grand tendre. Mais il faut avouer qu’on se laisse pourtant volontiers attraper par cette histoire. Il existe d’abord une vraie tendresse dans ce livre, et mine de rien, ça fait beaucoup de bien. Tendresse vis-à-vis de ses personnages, tellement bien dessinés qu’ils en deviennent réels (magnifique Louise surtout), tendresse vis-à-vis des choses et des lieux, notamment ce bout de campagne perdu, ou cette usine résistante. Le livre évite largement le piège du gnangnan par la description minutieuse des galères et des angoisses de ses personnages. Amoureux des mots et de la formule juste, Serge Joncour nous montre, malgré tout, que des bulles de bonheur imprévisibles peuvent exister. Et c’est vraiment joli.

Ed. Flammarion

Chronique livre : Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde

d’Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow

Joli petit ouvrage que ces Anagrammes. Succession de petits textes dont les phrases finales sont les anagrammes de leur titre, ces Anagrammes renversantes ont été écrites par un physicien et un historien. Intéressant travail à deux mains, qui fait se côtoyer Marie-Antoinette et le neutrino stérile, l’invariance relativiste avec Madame de Pompadour. Je ne veux pas déflorer le résultat des cogitations linguistiques des deux auteurs, mais force est de constater que le titre pour ambitieux qu’il soit Le sens caché du monde, n’est pas usurpé, tant bon nombre de ces anagrammes sont tout simplement troublantes. On a l’impression que les lettres portent en elles-mêmes leur sens profond, quel que soit l’ordre dans lequel elles sont placées. Un bon petit moment donc passé en compagnie de ces anagrammes, regroupées qui plus est dans un assez joli objet-livre.

Ed. Flammarion

Chronique livre : La carte et le territoire

de Michel Houellebecq.

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Alors là mes amis, ça ne va pas être simple. Je dois vous avouer être complètement dubitative, si ce n’est hermétique, au nouveau roman de Michel Houellebecq. Sans doute des attentes démesurées après le choc que fût La possibilité d’une île, je ne sais pas.

On ne peut reprocher au projet conceptuel de manquer d’ambition, ni de panache littéraire. Houellebecq est un très grand écrivain, et le style de ce roman, de facture très classique est très beau, léché, impeccable. La stricte rigueur du style colle parfaitement à son propos. Houellebecq retrace le parcours d’un artiste contemporain Jed Martin (sorte d’alter ego littéraire), sa vie, son oeuvre. Né d’un père architecte, qui a réussi financièrement, et échoué artistiquement, d’une mère dépressive puis suicidée, Jed est singulièrement détaché de la vie. Son oeuvre tourne autour des réalisations matérielles de l’homme : photographies de cartes michelin, comme des paysages façonnés par l’homme, mais vides de présences humaines, d’objets industriels à la perfection inhumaine, puis tableaux d’hommes et de femmes exerçant leurs professions. Une oeuvre consacrée donc aux conséquences physiques de l’existence humaine, mais quasiment dépourvue d’humanité, une oeuvre très contemporaine, pure produit de la société superficielle, productiviste et matérialiste, et qui bien sûre, paradoxe ultime, se vend à des côtes ahurissantes, transformant Jed Martin en millionnaire. Cette dérive matérialiste atteint son paroxysme lorsqu’un meurtre est commis pour voler l’ultime tableau peint par Martin.

Afin de souligner ses propos, ou plutôt ses constats sur l’évolution de la société, Houellebecq multiplie les digressions encyclopédiques, comme on picore d’un site à l’autre sur le net. Au milieu de tout ça, les personnages se débattent, comme ils peuvent, sans véritables échanges, traînant leur solitude et leur malaise le long des 428 pages. Tout ça est terriblement brillant, et intelligent. Mais. Le problème, c’est qu’on s’ennuie assez ferme à la lecture de tout ça, ressentant un détachement égal voir supérieur à celui du héros. Non, lire une notice d’appareil photo, n’a objectivement rien d’intéressant, et connaître le nombre d’habitants de troufignou les oies non plus. Par cette accumulation encyclopédique, ce concept dénué d’émotions et de sentiments (il y en a, mais tellement ras le bitume, que c’est assez ahurissant de la part de l’auteur de la Possibilité d’une île), Houellebecq tombe dans les pires travers de la littérature française, cette volonté d’étaler sa science, cette manie de tout intellectualiser, de tout conceptualiser. J’ai passé mon temps à essayer de refocaliser mon attention, et à essayer de m’intéresser vraiment à ce qui était écrit, en relisant certaines pages des dizaines de fois, tellement le livre me tombait des mains.

Alors oui, c’est évidemment fait exprès, il y a une grande hauteur de vue dans tout ça, il y a de l’intelligence, de la réflexion, mais ça sent la sueur, l’application, l’ambition aussi de prouver à quel point il est un grand écrivain ancré dans la modernité. Il y manque cette humanité ravageuse qui m’avait tant renversé jadis, et ses tentatives de descriptions désabusées de la vie sont aujourd’hui plus roublardes que sincères. Houellebecq semble devenir un pépé prudent, assoiffé de reconnaissance artistique (« Vous voyez, je n’ai pas besoin de faire dans la provocation pour être un grand écrivain« , semble t’il déclarer ici), et c’est une grande perte pour la littérature française. Reste un roman conceptuel, brillamment intelligent, mais totalement désincarné. Allez allez, après le Goncourt, tout va rentrer dans l’ordre ? Hein ? S’il vous plait !