Chronique livre : Article 353 du code pénal

de Tanguy Viel.

Chaque fois que je lis Tanguy Viel, je ne peux retenir quelques élans d’admiration pour sa maîtrise stylistique absolue. Il n’y a jamais un mot à côté, tout est d’une précision sans faille. Article 353 du code pénal ne déroge pas à cette règle.

Deux hommes sont sur un bateau, l’un d’eux tombe à l’eau, poussé par l’autre. L’autre, Kermeur se fait arrêter et témoigne devant le juge. Un long « monologue », à la fois intérieur et à destination du juge, dans lequel Kermeur essaie d’expliquer, au plus juste de l’histoire et de ses sentiments, comment il en est arrivé à pousser par dessus bord le dit Lazenec.

Le début est un peu lent, les pièces se mettent en place une par une, constituant les fondations solides d’un récit construit autour du vide. Car l’histoire est celle d’une absence, d’une promesse non tenue, d’un projet immobilier qui ne verra jamais le jour et ruinera Kermeur, mais également toute une commune. C’est donc avec patience que Tanguy Viel met en place son récit, pour finalement révéler avec force la violence passée pendant si longtemps sous silence de la situation, la manière dont se construit la haine (et encore, Kermeur n’est pas vraiment haineux, mais finalement plutôt pragmatique), ou plutôt la réaction inévitable à cette forme de violence sociale, symbolisée par l’arnaqueur Lazenec.  Le récit m’a paru en effet, de part son énormité (l’arnaqueur sévit pendant des années sans que personne n’ose ne serait-ce que soulever le sujet, dépense sans compter l’argent qu’il vole aux villageois crédules, aucun remords de la part de Lazenec, en toutes circonstances, il agit avec l’innocence de l’agneau qui vient de naître) une espèce de miroir de la violence que représente les inégalités sociales et surtout financières (les 8 personnalités les plus riches de la planète détiennent autant que les 50% les plus pauvres, c’est ça non ? Et d’où vient leur argent sinon de l’exploitation des ressources naturelles et du travail d’autrui ?). Je vais sans doute trop loin dans mon interprétation, mais j’ai reçu le livre de cette manière, comment l’injustice sociale est une violence, qui engendre la violence, et quelles armes (peut-être, sans doute… il faut le lire) peuvent rétablir un semblant d’équilibre.

Tout ça est écrit avec la virtuosité taquine et jamais bling-bling de Tanguy Viel, toujours au service de son récit, de ses personnages, de l’humain. Beau et profond.

Ed. Editions de Minuit

Chronique livre : Envoyée spéciale

de Jean Echenoz.

envoyeespecialeNon mais que ça fait du bien parfois qu’on vous raconte une histoire et comme il le fait bien Jean Echenoz. Parce qu’avouons, Envoyée spéciale n’a probablement guère d’autre ambition que de nous faire prendre du plaisir, et ça fonctionne remarquablement bien.

D’abord grâce à cette histoire, rocambolesque, aux multiples pistes que l’auteur se plaît à brouiller, puis dévoiler avec un savoir-faire d’horloger suisse. Ensuite grâce à son style inimitable, mélange de virtuosité indéniable et de légèreté taquine. Chez Echenoz, quelque part, on se sent à la maison ou avec des amis de longue date : tout est balisé, connu, facile, simple mais jamais simpliste.

Parce que c’est tout de même un festival. Festival d’inventivité romanesque d’abord, les histoires se croisent, s’entremêlent, dans une tapisserie complexe et farfelue. Festival d’humour, l’auteur y est omniprésent et s’amuse comme un fou à brouiller les pistes, à balader le lecteur. On a l’impression d’être pris par la main par un guide espiègle qui nous promène dans le temps et l’espace de son histoire. Mais Envoyée spéciale est aussi, mine de rien, un festival d’érudition, mais une érudition joyeuse, qui ne s’impose jamais et sert en permanence l’histoire. On se demande d’ailleurs si tout le livre n’est pas destiné à conduire le lecteur par le biais des pérégrinations de ses personnages dans cette très mystérieuse DMZ coréenne.

Alors évidemment, Envoyée spéciale ne révolutionnera pas votre vision de la littérature, mais tout de même, entre nous, qu’est-ce que c’est bon.

Ed. Editions de Minuit

Chronique livre : Caprice de la reine

de Jean Echenoz.

capricedelareineQuoi de neuf chez le roi Echenoz ? Et bien pas grand chose si l’on en croit ce sympathique mais tout à fait anecdotique recueil de nouvelles. Juxtaposition de textes publiés ici ou là, sans véritable cohérence que l’écriture du maître, Caprice de la Reine constitue une petite récréation après le sublime 14, encore profondément gravé dans mon cerveau. Continuer la lecture de Chronique livre : Caprice de la reine

Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

de Jean Philippe Toussaint

nueQuand on plonge dans Nue, sans savoir de quoi il retourne, on prend le risque de devoir immédiatement le roman achevé, courir chez son libraire pour acheter les trois premiers tomes de la quadrilogie. Non pas que le roman ne puisse se suffire à lui-même, comme chacun des autres volumes d’ailleurs, mais le charme, le mystère, la sensualité, l’humour, l’angoisse sourde et fondamentale qui s’échappent de ces pages donnent envie de creuser, comprendre, pénétrer un peu plus profondément dans ce récit romanesque étonnant. Continuer la lecture de Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

Chronique livre : La Disparition de Jim Sullivan

de Tanguy Viel.

la-disparition-de-jim-sullivanTrès grand livre que La disparition de Jim Sullivan. Je savais Tanguy Viel excellent technicien. Son Absolue perfection du crime m’avait épaté par son impeccable maîtrise formelle, même si la belle mécanique finissait par tourner un peu à vide. Avec ce nouveau livre, l’auteur va bien plus loin dans sa recherche, et mêle réflexion littéraire, analyse stylistique et véritable roman. Continuer la lecture de Chronique livre : La Disparition de Jim Sullivan