Chronique livre : Une forêt d’arbres creux

d’Antoine Choplin.

Les forêts portent les espoirs, il se dit. Elles ne trompent pas. On n’a jamais rapporté le cas d’une forêt d’arbres creux, n’est-ce pas?

uneforetdarbrescreuxVoilà un livre qui aborde un sujet exemplaire et bouleversant, écrit de manière totalement exemplaire et bouleversante. Le ghetto tchèque de Terezin en 1941. Un caricaturiste, Bedrich Fritta, sa femme et son enfant y sont enfermés. Le lecteur suit Bedrich dans sa découverte du camp, son installation dans les dortoirs, dans le cabinet de dessins techniques qu’il va diriger, et dans ses actes de résistance souterraine qui vont le conduire à la mort.

Antoine Choplin décrit les scènes comme on décrirait un tableau, s’appuyant sur les détails, s’immergeant dans la vie et la vision de Bedrich ou ce qu’elle a pu être. Comment témoigner des horreurs que l’on vit et que l’on voit ? Bedrich s’y attelle de la seule manière possible pour lui et dessine clandestinement, en compagnie de ses camarades d’atelier, la vie au camp.

Il n’y a pas grand chose dans ce livre, et pourtant il y a tout. La puissance de l’écriture d’Antoine Choplin révèle plus qu’elle ne raconte. Tout y est d’une justesse absolue, chaque mot à sa place, avec pudeur et force. On n’est pas dans le réalisme ici pourtant, ni dans le naturalisme, mais plutôt dans une approche sensible des choses, qui s’attache autant à ce qui est vécu qu’à ce qui est ressenti. C’est ça qui est bouleversant, d’être immergé dans l’esprit de cet homme et de ses espoirs intérieurs, cette flamme de vie qu’il refuse d’étouffer, et qui rejaillit au travers de cet acte dérisoire et magnifique de dessiner l’interdit.

Antoine Choplin nous ferait presque croire qu’effectivement, on n’a jamais vu de forêt d’arbres creux. Sublime.

Ed. La fosse aux ours

Chronique livre : Bleu de travail

de Thomas Vinau.

Les arbres se gonflent et se dégonflent. Ils expirent le vide froid. Les branches sont des bronches. Poitrine de lumière. Et le ciel qui ronfle. Et nos peines soufflées. Là.

bleudetravail800Après le délicat et irréprochable Ici ça va, Thomas Vinau revient dans ce Bleu (ou blues?) de travail, particulièrement séduisant. A nouveau on retrouve cette écriture de bribes et d’éclats, d’instants suspendus ou même l’immatériel devient sensations. Sans doute moins policé qu’Ici ça va, moins immédiatement aimable, plus irrégulier, Bleu de travail séduit cependant davantage par ses fulgurances poignantes.

Un jour ou l’autre tu te rends compte qu’il y a un monde autour de toi. Et que ce monde est en train de hurler.

Il s’est insinué dans l’écriture de Thomas Vinau, toujours maîtrisée et très belle dans sa simplicité, un brin de douleur, de froid et d’humour salvateur. Le temps qui passe et la peur qui en découle irriguent ce Bleu de travail de manière discrète mais fondamentale. La frontière entre prose et poésie perd ici tout son sens entre éclats d’haïku et pieds dans la boue.

Nous sommes les petites braises qui couvent leurs désastres. Nos minuscules chaleurs.

Le livre en lui-même est également particulièrement séduisant, avec cette belle reproduction de Deineka en couverture. Un interlude, beau et touchant, avec juste cette pointe de trouble, inconfortable mais si nécessaire.

Ed. La Fosse aux ours