Chronique livre : Défense de Prosper Brouillon

d’Eric Chevillard.

Rien ne vaut un livre d’Eric Chevillard pour vous sortir d’une phase de plâtreuse mornitude littéraire. D’autant plus quand celui-ci, on en jette son orbite de curiosité, construit une histoire autour de phrases étincelantes extraites des meilleures ventes de livres de ces dernières années. L’auteur fictif de cette histoire, ainsi que d’une indispensable autobiographie laineuse n’est autre que le Prosper Brouillon du titre, double inversé d’Eric Chevillard, auteur à succès traduit dans toutes les langues et chouchou de ces dames (non pas qu’Eric Chevillard ne soit pas le chouchou de quelques dames, la preuve en est, mais l’incorruptible fait probablement bien peu cas de cette manière d’admiration).

Taquin, acide, grinçant, l’auteur (le vrai) décortique une foule d’inepties littéraires ayant fait les beaux jours de ceux qui les ont commises. Prendre au pied de la lettre des syntaxes bancales, des métaphores affligeantes, des clichés avachis et construire avec tout ça une histoire d’amour torride et purulente, c’est un exercice de style en même temps qu’une critique affutée des têtes de gondole. Et ça fonctionne très bien. On rit autant qu’on s’arrache les cheveux de tant d’arrogance et de fausse poésie contenues dans ces citations, d’irrespect des mots et du sens des mots, d’irrespect du lecteur aussi, supplicié volontaire, masochiste inconscient, victime du syndrome de Stockholm. Cette Défense de Prosper Brouillon alors ? un peu anecdotique sans doute dans la bibliographie de Maître Chevillard, mais définitivement jouissif.

Ed. Noir sur blanc
Coll. Notabilia

Chronique livre : Rouvrir le roman

de Sophie Divry.

Le boulanger, lui, ne prétend pas changer le monde quand il invente une nouvelle forme de pain.

Quand vous avez des amis poètes et dramaturges, il n’est pas très simple d’être amatrice de romans, ces objets à peine littéraires, qui ne sont que compromission et odeurs de moisis. Vous avez beau argumenter, expliquer que votre expérience de lectrice ne correspond pas du tout à ces clichés, que le roman est polymorphe, fourre-tout, finalement assez indéfinissable et parfois extrêmement novateur.  Vous citez Claro, Gabriel Josipovici, Charles Robinson, Olivia Rosenthal et bien d’autres. Rien à faire. Vous êtes, quelque part, une vendue, incapable de comprendre ce qu’est l’Art pur et noble de l’écriture ( bisous les copains, coeur avé les doigts ). Mais que voulez-vous, moi, j’ADORE le roman.

L’idée la plus commune est que le grand public est un troupeau qui lit n’importe quoi, se trompe, guidé par des goûts médiocres et populistes.

Quel plaisir par conséquent de lire cet essai taquin, moteur et énergique qui tente de sortir le roman du placard dans lequel il est théoriquement enfermé, de dépoussiérer de ses clichés le mal-aimé d’une certaine caste littéraire. Dans une première partie, Sophie Divry tente donc de détricoter les clichés qui collent aux basques du roman. Le roman est-il impur ? corseté ? vieillot ? mercantile ? Le public amateur de romans est-il sale ? Elle apporte des réponses d’une grande liberté, à la fois factuelles (chiffres à l’appui) mais également personnelles et surtout désinhibantes. Elle égratigne au passage quelques pratiques, auteurs, maisons d’édition qui ne manqueront de s’étouffer.

Et si le roman n’est pas mort, l’histoire n’est pas finie et nous avons un rôle à jouer.

Mais ce qui rend cet essai très sympathique et intéressant, c’est que Sophie Divry ne se contente pas d’analyser le roman et ses casseroles. Elle propose des solutions. Et c’est évidemment casse-gueule de passer d’une position de scrutateur à celui d’acteur. Même si cette deuxième partie est moins étoffée que la première et paraît un peu trop partielle et superficielle (rhaaaaaa tous ces auteurs oubliés, oui, je sais, on ne peut pas citer tout le monde), elle donne à ce texte un côté fonceur et audacieux tout à fait enthousiasmant.

Pari réussi donc pour cet essai, même si, probablement, il touchera plus spécifiquement les amateurs de romans qui n’ont pas besoin d’être convaincus que le roman n’est pas mort, qu’il est même bien vivant et finalement, plutôt en bonne santé.

Ed. Notab/lia/ Les Editions Noir sur Blanc

 

 

Chronique livre : Atlas des reflets célestes

de Goran Petrović.

Comme la fantaisie était la denrée dont nous disposions en abondance, nous avons décidé de nous opposer au Vide avec la seule chose qui ne risquait pas de nous faire défaut.

atlasdesrefletscelestes800Fantaisie, c’est effectivement le terme qui s’impose à la lecture de cet Atlas des reflets célestes. Goran Petrović ne s’interdit rien et déploie des trésors d’inventivité pour nous raconter cette histoire sans toit ni loi.

Une maison abritant une bande de huit colocataires un peu farfelus. Nos protagonistes décident que tout de même, un toit ce n’est pas pratique pour regarder le ciel. Alors, ni une ni deux, ils l’enlèvent. Ce qui n’est pas sans provoquer quelques désagréments, mais plus que l’eau du ciel, c’est plutôt la salive des voisins qui leur donne du fil à retordre. Voilà le fil de l’histoire, mais qui n’est guère qu’un fil parmi une toile beaucoup plus vaste, un tissage chatoyant, une tapisserie lunaire.

Composé de courts chapitres, agrémenté chacun de la description d’une œuvre d’art réelle ou fictive, il est agréable de se perdre dans cette géographie de l’imaginaire, même si le labyrinthe est parfois particulièrement ramifié. La liberté, l’extravagance, l’originalité de la forme, l’attention à ses personnages qui grandissent, apprennent, franchissent des caps séduisent et touchent le lecteur. Par ailleurs le travail de l’éditeur sur l’objet-livre est tout à fait séduisant, la beauté du papier crème, cette première page rouge, c’est vraiment du bel ouvrage. Une belle découverte donc, la tête dans les nuages.

Ed. Les éditions noir sur blanc
Coll. Notabilia
Trad. Gojko Lukić