Chronique théâtre : La mardi à Monoprix suivi d’Auteurs vivants

d’Emmanuel Darley.

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Un peu facile l’illustration, je suis d’accord. Que ça ne t’empêche pas de cliquer.

Une excellente idée de publier ce très beau texte d’Emmanuel Darley. Une occasion pour moi de découvrir cet émouvant monologue. On reconnaît le style Darley dès les premières phrases. Quiconque n’en a jamais lu/entendu se sentira peut-être un peu perdu au début. Par contre, ceux qui tâtent un chouia l’écriture Darleyienne se vautreront avec délices dans ce langage parlé mais très écrit, ces phrases bousculées, chamboulées, fracturées, claudicantes, dont les vides, les manques, les absences sont pleins de sens et d’émotions.

Le Mardi, depuis que sa mère est morte, Marie-Pierre vient aider son père à tenir son ménage, et à faire les courses. A Monoprix. Et pour Marie-Pierre, bien que contente d’aider son père, revenir dans la ville de son enfance est une épreuve. Le regard des autres, et le regard de son père ne sont pas simples à encaisser. Il faut dire qu’avant, Marie-Pierre s’appelait Jean-Pierre. Marie-Pierre décrit donc un mardi avec son père, et c’est magnifique et très émouvant. Elle raconte comme elle le sent, dans sa façon de parler à elle, sa joie de venir aider son père, et sa peine aussi que son père ne l’accepte pas « telle quelle », sa détermination à se faire tolérer comme elle est.

Le mardi à Monoprix est une petite chose très simple, très douce en apparence et qui cache derrière cette simplicité la très grande violence du regard des autres, du poids de ce regard quoi qu’on fasse et quoi qu’on assume. Les deux premières phrases sont en ce sens superbes : « Tout le monde me regarde le mardi. Tout le monde./Me regarde avec le coin de l’oeil comme si discret mais en fait pas du tout. » Et on sent que l’incapacité du père (ou sa très grande difficulté) à accepter l’évolution de son enfant est conditionnée par la peur du regard des autres. Et ce regard des autres justement est petit, bouffé de curiosité malsaine, lié au rejet de l’inconnu, du différent, à la crainte de l’autre qu’on ne comprend pas. Une peur vite transformée en haine, qui se retourne contre Marie-Pierre. Marie-Pierre, un magnifique coeur simple qui paie cher le fait d’être « telle quelle ».

Darley évite cependant tout manichéisme en introduisant furtivement un joli personnage féminin, amie du père, qui sert de contrepoint à la noirceur ambiante. C’est un révélateur des sentiments cachés paternels,  comme ça, mine de rien. Un texte tourneboulant donc. A lire, à voir. Hop hop.


 

Le Mardi à Monoprix est suivi d’une autre pièce, beaucoup plus légère : Auteurs vivants. Une répétition de Corneille par une troupe classique est prise en otage par des auteurs « vivants » désireux de voir leurs textes montés sur une scène. Le début est vraiment poilant : très drôle de voir ces comédiens pouet-pouet (des sociétaires…) pour lesquels le comble de l’audace est d’intervertir deux mots et pris de panique à l’idée de jouer une phrase dont la construction n’est pas parfaite. On n’est un peu gêné cependant par le côté « private joke » de l’exercice, un peu un défouloir, règlement de comptes. Outre cette petite réserve, on passe un très bon moment avec ce texte, qui doit être franchement rigolo à monter.

 

Chronique théâtre : Être humain

d’Emmanuel Darley.


Clic sur l’image pour plus grand.

Retournée comme un Pancake sans sirop d’érable par ce texte bouleversant d’Emmanuel Darley. Être humain est le récit (un récit) de la prise d’otage d’une maternelle par Lui. Lui, c’est HB, human bomb, human being, et finalement être humain, malgré tout. La pièce renverse les rôles, faisant de Lui, un homme sans vie, perdu, déjà mort, qui ne semble chercher, dans un dernier élan, qu’un peu de lumière. Face à lui, la société, les autorités, pompiers et policiers, professionnels, ne sont pas là pour comprendre, mais dérouler les mécanismes de sauvetage appris par anticipation. Pour eux, c’est aussi le grand jour, leur instant de gloire, l’accomplissement de leurs désirs. Ils jouissent de ce moment, les hormones au taquet. Assistant à l’histoire l’institutrice finit par éprouver de l’empathie pour Lui, classique syndrome de Stockholm, mais également reconnaissance d’un homme à la dérive. La soeur du preneur d’otage intervient pour tenter de raccrocher son frère à une vie qui l’a abandonnée.

Pièce « chorale » d’une grande douceur et d’une grande violence intérieure, où les voix s’élèvent successivement, Être humain est magnifique de bout en bout, confrontant des vies aux destins entremêlés, mais qui ne sont que des blocs de solitude impénétrable. On pense à Nancy Huston évidemment, pour la construction, et l’humanité déchirante du propos, cet essai incessant de s’approcher de la vérité, d’une parcelle de vérité, en multipliant les points de vue. La pièce interroge également et subtilement sur la responsabilité collective des pétages de plombs individuels. L’écriture, Darleysienne, économe reflète le délitement du personnage, par le désordre et la perte des mots. Mais jamais du sens. Un grand moment.

Un peu plus de Darley par .

Chronique théâtre : Flexible, hop hop !

d’Emmanuel Darley.


Encore plus flexible en cliquant dessus.

Il faut croire que le monde du travail est une source inépuisable d’inspiration pour les auteurs de théâtre contemporain. Après avoir lu, relu, écouté et réécouté l’indispensable « L’entretien » de Philippe Malone, voici que je découvre le « sautillant et klanguien » Flexible, Hop hop ! d’Emmanuel Darley. Le registre est ici en apparence plus léger, mais le fond est le même. Dureté du monde du travail, conjoncture, abrutissement, délocalisation, évolution d’une société vers le monde du faux et du virtuel.

Un et Deux sont ouvriers chez Interklang, une usine internationale de Klang (cherchez pas, c’est barré), c’est-à-dire que toute la journée, ils font Klang en cadence. Mais voilà, la conjoncture, vous comprenez, ils se trouvent licenciés.

La pièce est absolument tordante, absurde et sous son aspect foufou distille un humour noir et désespéré. La société part en sucette et le monde marche sur la tête. Ici, l’ANPE se nomme « la pépinière » (peu fertile), le représentant de la culture est « Monsieur de », et la pauvre Denise pète les plombs à force de Klanguerie. Bref, un moment loufoque, poilant et méchamment intelligent.

A savourer. Vous pouvez l’acheter par exemple.

Klang.

Un peu plus de Darley pas ici.

Chronique théâtre : L’Européenne

de David Lescot

Étrange sujet pour un jeune auteur de théâtre, le fonctionnement de l’Europe, ses arcanes et surtout ses absurdités. L’Européenne est une pièce de commande et il faudrait être faux-cul pour prétendre que ça ne se sent pas. Cependant, c’est souvent très drôle, mené tambour battant par des personnages qui semblent tout droit venus de la planète mars, et qui pourtant, sont probablement issus du vécu de Lescot.

Les premières pages sont savoureuses, étirant au maximum un concept poilant : une déléguée à la culture de la Commission accueille une linguiste belge idéaliste, en lui montrant les multiples traducteurs nécessaires au fonctionnement de l’Europe. Par cette liste non exhaustive, et sous les dehors de l’absurdité, on réalise d’un coup la complexité de la machine. Comment faire simple, alors qu’on ne peut jamais se comprendre directement ? La linguiste belge a une solution, l’inter-compréhension passive, qui consiste en la compréhension orale d’une langue sans pourtant en parler un traître mot. Pleine d’étoiles dans tête, elle est bien obligée de réaliser après moult quiproquos que sa méthode est un échec total. Formidable également la déléguée culturelle de la Commission, qui considère le moindre petit air de musique yiddish ou balkanique comme une tentative indirecte de culpabilisation. C’est dans ces petits détails qu’on reconnaît et apprécie l’auteur de l’excellent L’Amélioration.

Malheureusement, la pièce a un côté pouet-pouet, grosse bouffonnerie, comédie musicale de boulevard qui, personnellement, me laisse perplexe. On frémit du coup à l’idée que ce soit monté, à grand renfort de claquettes et couleurs criardes, d’autant plus que les deux dernières scènes sont vraiment en dessous. Dommage.

A lire cependant pour l’originalité du sujet, l’humour hilarant et nonobstant subtil.