de Michel Houellebecq.
Alors là mes amis, ça ne va pas être simple. Je dois vous avouer être complètement dubitative, si ce n’est hermétique, au nouveau roman de Michel Houellebecq. Sans doute des attentes démesurées après le choc que fût La possibilité d’une île, je ne sais pas.
On ne peut reprocher au projet conceptuel de manquer d’ambition, ni de panache littéraire. Houellebecq est un très grand écrivain, et le style de ce roman, de facture très classique est très beau, léché, impeccable. La stricte rigueur du style colle parfaitement à son propos. Houellebecq retrace le parcours d’un artiste contemporain Jed Martin (sorte d’alter ego littéraire), sa vie, son oeuvre. Né d’un père architecte, qui a réussi financièrement, et échoué artistiquement, d’une mère dépressive puis suicidée, Jed est singulièrement détaché de la vie. Son oeuvre tourne autour des réalisations matérielles de l’homme : photographies de cartes michelin, comme des paysages façonnés par l’homme, mais vides de présences humaines, d’objets industriels à la perfection inhumaine, puis tableaux d’hommes et de femmes exerçant leurs professions. Une oeuvre consacrée donc aux conséquences physiques de l’existence humaine, mais quasiment dépourvue d’humanité, une oeuvre très contemporaine, pure produit de la société superficielle, productiviste et matérialiste, et qui bien sûre, paradoxe ultime, se vend à des côtes ahurissantes, transformant Jed Martin en millionnaire. Cette dérive matérialiste atteint son paroxysme lorsqu’un meurtre est commis pour voler l’ultime tableau peint par Martin.
Afin de souligner ses propos, ou plutôt ses constats sur l’évolution de la société, Houellebecq multiplie les digressions encyclopédiques, comme on picore d’un site à l’autre sur le net. Au milieu de tout ça, les personnages se débattent, comme ils peuvent, sans véritables échanges, traînant leur solitude et leur malaise le long des 428 pages. Tout ça est terriblement brillant, et intelligent. Mais. Le problème, c’est qu’on s’ennuie assez ferme à la lecture de tout ça, ressentant un détachement égal voir supérieur à celui du héros. Non, lire une notice d’appareil photo, n’a objectivement rien d’intéressant, et connaître le nombre d’habitants de troufignou les oies non plus. Par cette accumulation encyclopédique, ce concept dénué d’émotions et de sentiments (il y en a, mais tellement ras le bitume, que c’est assez ahurissant de la part de l’auteur de la Possibilité d’une île), Houellebecq tombe dans les pires travers de la littérature française, cette volonté d’étaler sa science, cette manie de tout intellectualiser, de tout conceptualiser. J’ai passé mon temps à essayer de refocaliser mon attention, et à essayer de m’intéresser vraiment à ce qui était écrit, en relisant certaines pages des dizaines de fois, tellement le livre me tombait des mains.
Alors oui, c’est évidemment fait exprès, il y a une grande hauteur de vue dans tout ça, il y a de l’intelligence, de la réflexion, mais ça sent la sueur, l’application, l’ambition aussi de prouver à quel point il est un grand écrivain ancré dans la modernité. Il y manque cette humanité ravageuse qui m’avait tant renversé jadis, et ses tentatives de descriptions désabusées de la vie sont aujourd’hui plus roublardes que sincères. Houellebecq semble devenir un pépé prudent, assoiffé de reconnaissance artistique (« Vous voyez, je n’ai pas besoin de faire dans la provocation pour être un grand écrivain« , semble t’il déclarer ici), et c’est une grande perte pour la littérature française. Reste un roman conceptuel, brillamment intelligent, mais totalement désincarné. Allez allez, après le Goncourt, tout va rentrer dans l’ordre ? Hein ? S’il vous plait !