Chronique livre : Crime et châtiment

de Dostoïevski.


Pas la fête Otto Dix, hein ? Mais clique pour vérifier.

L’ami F. est déçu, il a dû se rendre à l’évidence : je ne suis pas dostoïevskienne. Les (més)aventures du jeune Raskolnikov, pour surpuissantes qu’elles sont ne m’ont pas passionnées.

Ça commençait plutôt bien pourtant, calmement : Raskolnikov trucide une vieille antipathique et sa soeur parce qu’il s’imagine d’une essence supérieure. A vrai dire ce début est plutôt divertissant, et on suit l’élaboration du crime dans le cerveau un chouia perturbé du type avec enthousiasme. Mais après le meurtre, oh lala, j’ai décroché autant que la raison de Raskolnikov. Il a du mal à assumer son crime et ses pensées partent à la dérive. Dialogues géniaux mais trop complexes pour ma petite caboche, je n’ai rien compris aux 8000 revirements de situation en une seule phrase, et à vrai dire cette galerie de personnages plus tordus les uns que les autres m’asphyxie. C’est simple, lire Dostoïevski, ça me donne envie de me faire ermite dans une clairière vert pomme bourrée d’orchidées et de papillons.

Je reconnais humblement l’immense génie du monsieur, l’incroyable vivacité de son esprit et de son écriture (toujours des dialogues formidables, comme dans l’Idiot), sa très bonne construction du roman malgré la parution en épisodes, sa manière perspicace de décortiquer l’âme humaine. Mais tout ça me laisse sur le bord du chemin et ne fait pas titiller ma corde sensible. Trop dense, trop long, trop complexe, trop touffu. Perdue à jamais pour Dosto ?

Chronique livre : La princesse de Clèves

de Mme de La Fayette.


Pour savoir de qui sont ces oeuvres, clique image.

« Je suis vaincue et surmontée par une inclination qui m’entraîne malgré moi. »

Lorsqu’à l’âge de seize années révolues, l’éducation nationale m’obligea la lecture de La princesse de Clèves, j’enrageais et baillais moult. Le cheveu gras-mouillé, l’odeur nauséabonde et le manque d’allant chronique de la dame mandatée pour ouvrir nos esprits aux beautés de la littérature française et de la Carte du Tendre ont probablement contribué à l’image terne et désuète imprimée en ma tête de ce petit ouvrage. J’étais loin de me douter en ces temps anciens que, quelques quatorze années plus tard, lire la Princesse de Clèves constituerait un acte de résistance, voire de désobéissance civique aux recommandations gouvernementales (en prenant le temps de lire, on oeuvre moins, c’est indubitable).

En relisant donc les (més)aventures de la très vertueuse Melle de Chartres, il apparaît de manière lumineuse les raisons de cette haine et malfaisance envers cet ouvrage. La langue de Mme de La Fayette, pour précieuse qu’elle soit, n’en est pas moins parfaite : elle manie des tournures de phrases complexes avec une délicate adresse. Ici, point de familiarité, de facilités de langage, de raccourcis expéditifs, mais des méandres verbaux à l’aune des sentiments troubles de la princesse. Mme de La Fayette fût sans doute aucun une exquisément fine lettrée, et historienne de talent. L’action se déroule sous le règne d’Henri II, et après quelques recherches superficielles, l’exactitude historique du contexte du roman ne fait aucun doute. Langage châtié, culture insolente, voilà effectivement de quoi faire grincer les maxillaires présidentielles.

Cependant, le plus horripilant pour un esprit peu délié, réside probablement dans l’immense rigueur morale de son héroïne. Mariée par raison, et dévouée à son époux, elle se refuse à l’homme qui l’aime et qu’elle aime. Même le décès de son mari ne pourra venir à bout de sa fidélité, elle se meurt de langueur par droiture. En nos temps où un remariage peut être célébré à peine quelques mois après un divorce, cette grande austérité janséniste et cette immense maîtrise de soi a de quoi agacer.

Pour ne pas masquer mes sentiments profonds, je dois révéler à mes lecteurs que pour admirable qu’il soit, le comportement emprunté de la princesse de Clèves, imprime en moi la sensation que cette belle personne est tout de même très quiche. Mais les jugements moraux n’ayant point de place dans l’analyse littéraire, on ne peut que conclure avec émotion à la beauté de cette oeuvre de Mme de La Fayette, la richesse de son style et la délicatesse des sentiments exposés. Précurseur du roman moderne, quel plus beau cadeau à faire à des collégiens, lycéens ou étudiants que l’étude de ce petit joyau précieux et raffiné ?

Chronique livre : Notre-Dame de Paris

de Victor Hugo.


Clique

Il n’est jamais trop tard pour combler ses lacunes culturelles. Notre-Dame de Paris fait partie des romans qu’on croit connaître par coeur alors même qu’on n’en a jamais effleuré la couverture. Monument donc, à peu près aussi écrasant que la belle dame qui lui donne son titre.

Autant dire que les débuts de la lecture sont laborieux. La père Hugo n’y va pas avec le dos de la bêche et veut faire de son roman un essai sur le massacre de l’architecture parisienne depuis la fin du XVème. C’est incroyablement érudit, majestueux et surtout très long. Pas facile de ne pas soupirer à la description de chaque tuile de chaque toit de chaque immeuble de chaque rue de chaque quartier de Paris, ainsi que le devenir au XIXème de chaque tuile de chaque toit de chaque immeuble de chaque rue de chaque quartier de Paris. On tique un peu aux petits piques misogynes du sieur (Prenez patience mesdames, je sais bien que l’architecture vous dépasse, et que vous soupirez après la romance…), mais on serre les dents : on voulait du classique, on en lira jusqu’à la dernière ligne.

Cependant, après quelques centaines de pages un peu difficiles, Hugo laisse tomber son pamphlet pour dérouler son intrigue au petit poil. Il s’auto-laisse prendre à sa trame délirante, et oublie bien vite ses rancoeurs architecturales. Et vas-y que ça court dans tous les sens, que ça crie, que ça s’aime, que ça se tue. C’est un festival. Plus belle la vie, à côté, c’est du Moravia. C’est peu dire qu’Hugo à le génie de l’intrigue. Et d’ailleurs je vais essayer de vous raconter ça en quelques lignes, mais en mettant ça dans l’ordre chronologique, du coup, ça va vous casser un peu le suspense.

Chantefleurie est prostituée à Reims . Elle donne naissance à une magnifique gamine qu’elle adore, mais qui lui est dérobée par des gitans, et remplacée par un petit gamin hideux. Folle de douleur, elle bazarde le môme borgne, bossu et boîteux, et part se faire recluse à Paris, sous le nom de Gudule. Quinze ans plus tard, la gamine volée est une magnifique danseuse des rues à Paris et se fait appeler Esmeralda, elle est gentille mais très quiche. Le monstrueux gamin a été recueilli par Frollo, l’archidiacre de Notre-Dame, et sonne les cloches de la cathédrale jusqu’à s’en faire littéralement péter les tympans. Il se nomme Quasimodo, et comme Garou a interprété ce personnage, on n’a déjà pas un a priori positif (on espère pour lui d’ailleurs qu’il avait également quelques problèmes d’audition). Évidemment comme la Esmeralda elle est très belle, tout le monde est amoureux d’elle, surtout l’archidiacre, qui en sa chasteté souffre les mille morts, et le sonneur, qui est quand même un chouia maladroit avec les filles. Malheureusement la gitane aime un chevalier, Phoebus, beau et con à la fois, qui ne lui rend pas forcément très bien. Frollo désespéré essaie de tuer l’apollon, mais c’est Esmeralda qu’on accuse et qu’on jette dans un cul de basse fosse. L’archidiacre tente de la faire évader, elle refuse, et c’est Quasimodo qui raflera la mise, en l’enlevant et en faisant de Notre-Dame sa terre d’asile. Hélas, le refuge ne pouvait durer, la belle est enlevée par l’archidiacre, mais se refuse toujours à lui. Dépité, il la confie à la bonne garde de Gudule, qui déteste les gitans depuis qu’ils lui ont volé sa fille. Mais l’amour succède à la haine chez Gudule, qui reconnaît en Esmeralda la fille qu’on lui avait arraché quinze en plus tôt. Elle cache son enfant des yeux des soldats. Hélas, Esméralda entend la voix de son Phoebus et se jette hors de sa cachette (je vous avez dit qu’elle était quiche). Elle est prise et pendu. Frollo est soulagé, Quasimodo désespéré, Gudule écrabouillée, et Phoebus se marie.

Alors ça louche ça ? Et encore, je vous ai gravement résumé, il y a près de 700 pages, et quelques autres personnages clés, dont une petite chèvre toute mignonne, un poète maudit, et une fiancée jalouse. Bref, Hugo a beau vaguement méprisé le genre romanesque par rapport à la réflexion pure, Notre-Dame de Paris convainc beaucoup plus par son intrigue et son style échevelés et ses rebondissements énormes, que par son prétexte historique. Un bien beau moment, qui à quelques longues longueurs près, se dévore d’un traite en s’arrachant les cheveux, et en les broyant entre ses dents. Encore, encore !

Chronique livre : Le Père Goriot

d’Honoré de Balzac.


Encore plus collé-serré, clic.

Comment faire une critique d’un classique comme le Père Goriot ? A ma grande honte, Je n’avais plus replongé le nez dans Balzac depuis le collège et une malheureuse expérience avec Eugénie Grandet. Peu convaincue à l’époque du génie balzacien, je préférais garder mon nez collé aux écrits de Maupassant, Flaubert, Racine et Dumas. Petite remise à niveau culturel donc, avec cette lecture. Bon. Que dire donc d’un classique ? ben c’est bien.

L’écriture, très dynamique de Balzac laisse la place belle à des descriptions implacables, et des dialogues de haute volée. Ces dialogues souvent proches de l’hystérie ont visiblement influencé Dostoïevski, tant parfois, ils m’ont fait penser à ceux de l’Idiot. L’oeil est acéré, la plume facile, et la psychologie poussée. Le livre a dû faire bouillir les féministes tant les nanas sont dépeintes sous des jours peu glorieux : superficielles, vénales, coquettes, ou sans caractère aucun. Les mâles ne sont pas bien gâtés non plus, mais sont quand même pourvus de certaines qualités.

A part ça, il faut avouer que, même si les thèmes abordés sont éternels et gardent toute leur actualité, le Père Goriot a quand même un peu vieilli. Le personnage de Goriot, avec son amour exclusif et aveugle sur ses connasses de filles est assez insupportable et par trop caricatural. Victime de son amour, de ses filles, d’une société pourrie par l’argent, par l’oisiveté et par l’attachement aux apparences sociales (la scène de l’enterrement est proprement sidérante), le personnage de Goriot n’arrive jamais à être vraiment sympathique, et nous laisse un peu à distance du récit.

Alors au final ? bien sûr un formidable roman, mais que je soupçonne n’être pas le meilleur de son auteur. Me reste maintenant à reboucher quelques autres cratères de ma culture classique…

Chronique livre : Le Cas étrange du Dr Jekyll et Mr Hyde

de Robert Louis Stevenson.

Parfois, c’est pas mauvais de revenir aux sources. Il est vraiment étrange de ce plonger dans ce court classique, alors qu’on a l’impression de connaître l’histoire par coeur. Entrée dans l’inconscient collectif, cette histoire a perfusé les imaginaires et inspiré les créateurs dans tous les domaines (théâtre, ciné, chanson, BD…). Il est évidemment question ici de la dualité de l’être, tiraillé en permanence entre le bien et le mal.

La forme courte du roman (plutôt une longue nouvelle en fait), plus centrée sur la résolution du mystère (qui est Hyde ? pourquoi et comment Jekyll s’est retrouvé lié à cet individu ?), que sur la personnalité médecin, laisse le champ libre à l’imaginaire et à l’interprétation. D’ailleurs, l’écriture est belle, mais relativement sèche, se concentrant sur l’essentiel, et ne s’autorisant les écarts que rarement. Les explications du docteur sont d’ailleurs assez confuses révélant finalement peu de choses sur ses actes passés, sur sa vie et ses vicissitudes, mais plutôt sur ses motivations. Jekyll ne supporte pas cette dualité, ne supporte pas ses états d’âmes lorsqu’il agit « mal » (sans que jamais on ne sache véritablement quels sont ses vices), et ne supporte pas d’exercer son métier de médecin en n’étant pas, par ailleurs irréprochable. Il fabrique donc une potion pour matérialiser cette dualité au sein de deux individus distincts : Hyde, part d’ombre de son être exerce toutes les ignominies avec délectation, ce qui permet à Jekyll lui même de résister à la tentation du mal… à part s’enquiller un peu de potion de temps en temps pour se transformer en Hyde .

Le thème est évidemment ancré dans une morale chrétienne, et également dans certaines théories psychanalytiques. Mais là ne comptez pas sur moi pour vous en causez, j’en serais incapable. Par contre, sous ses dehors moralisateurs, une lecture plus fine met en lumière une assez subtile critique de la société victorienne, engoncée dans lebien-penser, bien-agir et diabolisant toute notion de plaisir. C’est le carcan d’une société moralisatrice qui pousse Jekyll dans les retranchements obscures de la culpabilité. Oui, oui, décidément, c’est pas mauvais de revenir aux sources.