Chronique livre : Les Hauts de Hurlevent

d’Emily Brontë.

Pôpôpôpôpô, énorme souvenir d’adolescente, Les Hauts de Hurlevent méritaient bien une relecture. Et bon, force est de constater que ça envoie du bois bien comme il faut cette histoire d’amour absolue au milieu des bruyères (heath ou heather en VO) battues par les vents.

Soient deux familles prospères, les Earnshaw et les Linton vivant à quelques kilomètres de landes. Lorsque Earnshaw introduit dans la maison un petit gamin trouvé dans la rue, c’est l’avenir des deux familles qui bascule. Heathcliff, a le tempérament sauvage qui s’accorde avec celui de Catherine Earnshaw, la fille de son protecteur. Entre les deux, c’est une histoire d’amour passionnelle qui se joue même s’ils ne le découvrent pas tout de suite. Catherine se marie avec un Linton, rendant Heathcliff fou et avide de vengeance. L’enfant des rues devient créature diabolique, et sa soif de vengeance passe par l’extinction des deux familles et leur anéantissement financier. Tout ça se terminera par du mariage consanguin digne des plus grandes tragédies grecques. Pôpôpôpôpô, que c’est beau.

Ed. Rivages

Chronique livre : Les travailleurs de la mer

de Victor Hugo

Enorme, énorme, énorme, c’est le mot qui vient à l’esprit lors de la lecture des Travailleurs de la mer. C’est qu’il n’y va pas avec le dos de la chaloupe Maître Hugo, son roman déborde de tout, de génie, d’audace, de culture, parfois même jusqu’à l’overdose. Il faut dire qu’une histoire qui remplirait difficilement sa centaine de pages sous la plume d’à peu près n’importe quel écrivain, en prend environ six cents sous la plume d’Hugo. Il faut donc les remplir ces pages, et Victor Hugo n’a jamais été avare en remplissage culturel. Il s’en donne d’ailleurs à cœur joie, pour qui est amateur, on saura donc tout (si on ne saute pas quelques centaines de pages) sur les bateaux, l’histoire de Guernesey, les propos des gens du cru, les récifs …

Mais à côté de ça (il faut tout de même une certaine dose de patience), Les travailleurs de la mer est une histoire romanesque assez extraordinaire, et complètement déchirante. Gilliat, l’homme-ours tombe amoureux de la jolie Déruchette, qui, un jour de neige, sans doute pour s’amuser, a tracé dans la neige avec son doigt, le nom de Gilliat. L’homme y voit sans doute un signe, un appel, et de ce moment, tombe éperdument amoureux de la petite coquette. Il ne connaît rien aux femmes, n’ose pas l’aborder, joue du biniou sous ses fenêtres. Et quand le bateau à vapeur du tuteur de Déruchette s’encastre dans des rochers inaccessibles, Gilliat n’hésite pas, il part seul, équipé de peu, pour sauver la machine. L’enjeu de cette tentative de sauvetage désespéré, la main de Déruchette.

Commence alors une espèce de Kho-Lanta hugolien, un Robinson Crusoé version dure, et c’est magnifique. D’accord, rien ne nous sera épargné des détails du sauvetage, mais l’énergie mobilisée par Gilliat, et surtout le rythme imposé par Hugo sont colossaux. On est happé par les moindres faits et gestes de cet homme, fou d’amour, et c’est grandiose. Je ne vous raconte pas la fin, j’ai chialé pendant trois jours.

Le roman vaut bien sûr également par ses nombreuses allusions politiques, la précision de ses détails historiques. Mais laissez-moi être une vraie midinette, et ne retenir de cette histoire qu’un amour fou, malheureux, et beau comme la nuit.

Chronique livre : L’Homme sans postérité

d’Adalbert Stifter.

Quand on finit le livre d’Adalbert Stifter, on a l’impression d’émerger d’un lointain et doux souvenir. Plus d’une semaine après l’impression est intacte, et si les détails s’échappent, l’atmosphère et les sensations perdurent. Croisé au détour du livre de Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire, l’Homme sans postérité ne déçoit pas, mais étonne et interroge, par sa manière neutre de raconter une histoire somme toute assez plate, et qui pourtant imprime durablement dans l’esprit des scènes, des paysages, des couleurs et des sensations.

Car plus que du conte, l’Homme sans postérité tient plutôt lieu d’évocation, de mythologie sans héros, de fantasme d’histoire et de lieu. Victor, un jeune orphelin tout juste sorti de l’adolescence, vit chez sa mère adoptive une existence paisible et choyée, entouré de douceur, d’amitié et de paysages rêvés. Avant de devenir homme et de prendre un travail de bureau que lui a obtenu son tuteur, Victor, sur la demande expresse de son oncle, se voit contraint de le rejoindre à des jours de marche de chez lui. Après un périple joyeux et insouciant, Victor arrive chez son oncle. Le vieil homme, reclus dans un ancien monastère isolé sur une île au milieu d’un lac de montagne, est d’un abord revêche, et plusieurs jours se passent sans que rien n’advienne, Victor s’interrogeant vraiment sur les intentions de son parent. Pourquoi celui-ci l’a t’il fait venir de si loin si c’est pour le laisser seul toute la journée durant, ne faisant que partager leurs repas à heures fixes ? Abandonné à sa solitude, Victor part à la découverte de la petite île, et de ses recoins, passe du temps à nager, et à contempler le paysage grandiose qui l’entoure, à lire les ouvrages poussiéreux de la bibliothèque de son oncle. Peu à peu un rapport de confiance tacite se noue entre les deux hommes et la paroles se libère. On apprend pourquoi le vieil homme vit isoler sur cette île depuis si longtemps, pourquoi il a demandé à Victor de l’y rejoindre. Les histoires de famille sont dites et les secrets révélés. Victor finira cependant par partir de cette île, fondamentalement différent. Il est en train de devenir un homme. Ses plans de carrière sont bouleversés et sa vie changée par cette visite. Cette brève rencontre aura finalement eu quasiment plus d’impact sur sa destinée que toute sa doucereuse enfance dans le giron de sa mère adoptive.

Il y a quelque chose de très attachant dans la façon dont Stifter nous raconte cette histoire initiatique, à la fois fantasmagorique et simplement humaine. Les intentions de l’oncle pour aussi bonnes qu’elles puissent paraître (que son neveu réussisse sa vie), sont finalement ambiguës. Ce qu’il projette pour son neveu, c’est de vivre la vie que lui désirait, mais qu’il n’a pas pu vivre, en lui traçant le destin que lui même aurait aimé avoir. Et c’est de cette dualité que né l’intérêt, raconter une initiation “rêvée” à la vie adulte, dans un décor inventé, relevant presque du mythe (l’île isolée, petite mais labyrinthe de portes fermées, dont il est impossible de sortir), mais peuplée de personnages finalement très humains et ambivalents.

Pour anecdotique qu’il puisse paraître à première vue, L’homme sans postérité recèle une grande force évocatrice, et émotionnelle. Un livre simple et riche.

Chronique livre : La Guerre et la Paix

de Léon Tolstoï.

IMG_3678ret450

Ahhh tu fais le malin ?
Dis moi de quel film est tiré ce photogramme.
Clique pour mieux voir.

Yipiha, me voilà enfin venue à bout de La Guerre et La Paix après de multiples tergiversations. Non pas que le roman soit barbant, bien au contraire, mais il y a là une pavasse tout de même très conséquente. J’avoue me sentir beaucoup plus à l’aise dans l’univers de Tolstoï que de Dostoïevski : plus romanesque, frontal, moins psychologique et torturé, même si je reconnais que le style de Tolstoï, pas aussi flamboyant que celui de Dostoïevski, est essentiellement tourné vers l’efficacité.

Car c’est une des qualités premières de ce livre : il est bougrement efficace. Malgré ses 1500 pages, ses dizaines de personnages, ses multiples rebondissements, on n’est jamais perdu. Grâce à un art du portrait incroyable, Tolstoï réussit à donner vie à tous ses protagonistes, même les plus minimes. On oublie alors la complexité des noms russes pas toujours simples à mémoriser pour reconnaître tel ou tel personnage par un détail qui l’identifie d’un seul coup d’oeil. Telle princesse a la lèvre ourlée, telle autre un sourire radieux. Tel prince baisse le bras gauche, tel autre a le regard perdu. Le système peut paraître répétitif, mais permet donc de ne pas s’interroger en permanence sur le qui est qui. Se débarrassant par conséquent d’une des grandes difficultés des grandes épopées, Tolstoï réussit à déployer sa version de la période 1807-1812 avec un extraordinaire ampleur. Il effectue un va et vient constant entre scènes de guerre et scènes de la vie civile, permettant de donner visage humain aux soldats et autres chefs de guerre dont nous croisons la route.

Loin de glorifier les victoires militaires, Tolstoï fait preuve d’une grand lucidité dans ses descriptions, sans concession. Il minimise le libre-arbitre, et conçoit l’Histoire avec déterminisme. On retient de tout ça l’immense talent de Tolstoï pour raconter l’Histoire et lui donner un visage humain. Passionnant. Un classique.

Chronique livre : Crime et châtiment

de Dostoïevski.


Pas la fête Otto Dix, hein ? Mais clique pour vérifier.

L’ami F. est déçu, il a dû se rendre à l’évidence : je ne suis pas dostoïevskienne. Les (més)aventures du jeune Raskolnikov, pour surpuissantes qu’elles sont ne m’ont pas passionnées.

Ça commençait plutôt bien pourtant, calmement : Raskolnikov trucide une vieille antipathique et sa soeur parce qu’il s’imagine d’une essence supérieure. A vrai dire ce début est plutôt divertissant, et on suit l’élaboration du crime dans le cerveau un chouia perturbé du type avec enthousiasme. Mais après le meurtre, oh lala, j’ai décroché autant que la raison de Raskolnikov. Il a du mal à assumer son crime et ses pensées partent à la dérive. Dialogues géniaux mais trop complexes pour ma petite caboche, je n’ai rien compris aux 8000 revirements de situation en une seule phrase, et à vrai dire cette galerie de personnages plus tordus les uns que les autres m’asphyxie. C’est simple, lire Dostoïevski, ça me donne envie de me faire ermite dans une clairière vert pomme bourrée d’orchidées et de papillons.

Je reconnais humblement l’immense génie du monsieur, l’incroyable vivacité de son esprit et de son écriture (toujours des dialogues formidables, comme dans l’Idiot), sa très bonne construction du roman malgré la parution en épisodes, sa manière perspicace de décortiquer l’âme humaine. Mais tout ça me laisse sur le bord du chemin et ne fait pas titiller ma corde sensible. Trop dense, trop long, trop complexe, trop touffu. Perdue à jamais pour Dosto ?