de David Lynch
Comment critiquer l’insaisissable ? Inland Empire (l’Empire de l’Intérieur) est un OFNI à l’état pur. Tourné en vidéo, saynète par saynète, sans scénario pré-établi, avec pour principal fil conducteur l’actrice Laura Dern, Inland Empire se révèle être un véritable puzzle obsessionnel, dont les pièces se superposent, sans vraiment réussir à s’emboîter.
Autant le dire tout de suite, Inland Empire ferait passer Mulholland Drive pour un film pour enfants. Après un début frappant, expérience visuelle et sonore, une histoire quasi linéaire s’installe quelques temps : Nikki, une actrice au mari jaloux, est engagée dans un film, avec un partenaire, dragueur à deux balles. Au fil du tournage, l’histoire du film dans le film, et l’histoire « réelle » se confondent pour Nikki. Puis, dérèglement temporel, et tout explose.
Les pistes se multiplient, les indices s’accumulent (de 9h45, aux lampes rouges, la chambre 47). Une femme regarde fascinée la télévision en pleurant. Un sitcom avec des humains-lapins s’impose à l’écran régulièrement. On fait des excursions dans le milieu de la mafia polonaise, puis retour sur l’histoire de Nikki, mais est-ce toujours elle ? dans ce pauvre pavillon de banlieue, avec ce mari fadasse qui veut partir dans un cirque ? Et cette femme avec son tournevis dans le flanc, qui affirme avoir quelqu’un à tuer (magnifique Julia Ormond, rare et précieuse) ?
Sans qu’on s’en aperçoive, le film brasse tous les thèmes du couple, adultère, trahison, jalousie, perte de l’enfant, angoisses, peur de l’absence. Sur la forme, on assiste à un immense zapping mental, dans lequel se côtoie documentaires, interviews, fictions, sitcoms, variétoches, tous faux, les acteurs sautent de l’un à l’autre sans barrière aucune. A la fin, la femme hypnotisée devant sa télé, l’éteint, et retrouve son enfant et son mari (le même acteur que le mari fadasse cité précédemment !), folle de joie.
Peut-être est-ce là, la clé, ou au moins une des clés de cet immense fourre-tout : l’aliénation que nous avons aux médias, cette bouillie protéiforme que nous ingurgitons, dans laquelle tout finit par se mélanger, mais qui est le miroir de nos angoisses profondes. Evidemment c’est déroutant au possible, et l’esprit essaie de capter les moindres signes de cohérence, sans jamais y parvenir vraiment. L’histoire échappe, et s’enfuit au loin, dès qu’on s’en approche. Les acteurs sont immenses, d’autant plus qu’ils travaillaient sans filet aucun.
Ce collage improbable, cet « Empire intérieur », est servi par une musique entêtante, angoissante, mais le choix de chansons ne se révèle pas forcément toujours judicieux car trop concret dans cet univers sensoriel (sauf dans le générique de fin : un homme qui utilise l’hallucinant Sinner Man de Nina Simone n’est de toute évidence pas un mauvais bougre).
Alors oui, c’est long (presque 3h), oui c’est difficile, mais il faut avouer qu’on ne s’ennuie pas une seconde, et que les méandres de cet esprit sont véritablement fascinants. Futur grand chef d’œuvre ou futur oublié du cinéma expérimental, je ne saurai le dire. Peut-être que dans 5 ans, ce film sera considéré comme limpide, comme Mulholland Drive aujourd’hui, après avoir complètement troublé les spectateurs à sa sortie. J’avoue, que quand même, pour l’instant, je m’octroie le droit de préférer au caméléon Laura Dern, la prude et perverse Naomi Watts et la glamour et fascinante Laura Harring.