Chronique livre : Dans le jardin d’un hôtel

de Gabriel Josipovici.

Il attendit, en l’observant.

Deux couples amis, un enfant curieux, un chien qui sourit, des promenades, une gentille routine. Puis, il y a des vacances à la montagne pour l’un des deux couples. La rencontre avec une femme, une marche dans la montagne et le récit de son histoire, ou plutôt le récit d’une histoire qui n’en est pas vraiment une et de l’Histoire qui, elle, a vraiment eu lieu.

Difficile de poser ce livre sublime avant la dernière page, car le livre avance, explore, cherche, comme ses personnages qui marchent, s’activent, et le lecteur est entraîné irrésistiblement dans ce flux incessant de paroles et de mouvements. Il y a donc cette histoire, un peu mystérieuse, que personne ne comprend vraiment. Gabriel Josipovici explore les répercussions du récit de cette histoire, une réaction en chaîne qui vient déranger la routine et les certitudes de ses personnages. Et c’est grâce à son écriture dégraissée au maximum que Gabriel Josipovici réussit à faire vivre ses personnages et ses intentions de manière fabuleuse. Son écriture décrit, simplement, avec dénuement, ce qui se passe, factuellement, pas d’adjectifs surnuméraires, d’adverbes malencontreux, juste de l’action, il dit ci, elle dit ça, il fait ci, elle fait ça. L’écriture sinue, spirale, répète, révèle, forme des boucles, navigue dans le temps et dans l’espace. La page est un miroir d’eau, des gouttes tombent, des cercles concentriques se forment, s’élargissent, s’entrecroisent, se perturbent. La perfection géométrique s’efface jusqu’à ce que d’autres gouttes tombent, d’autres cercles, qui viennent à leur tour briser le contour net des cercles voisins.

On est happé par ce mystère, cette écriture blanche qui soulève tant de questions, de pistes, mais qui finalement prend surtout du plaisir à scruter ses personnages avec attention et empathie. Aucune lourdeur, jamais, mais une légèreté profonde, une drôlerie attentive (car oui, c’est aussi très drôle), une intelligence du geste qui ne se fait jamais au détriment du récit, mais fait corps avec lui. Je me répète, mais c’est absolument sublime, unique et totalement indispensable. Tu sais ce qu’il te reste à faire.

Ed. Quidam Editeur
Trad.
Vanessa Guignery (bravo !)

Chronique livre : Moo Pak

de Gabriel Josipovici.

La littérature, dit-il, ne nous enseigne pas l’éthique, elle ne nous enseigne pas la politique, elle ne nous enseigne pas la linguistique. Elle nous enseigne la gymnastique.

moopakDeux hommes marchent dans Londres. Ils parlent. De ces conversations ne nous parvient que la voix d’un seul, retranscrite par l’autre le plus fidèlement possible, pour que ce qui aurait dû être et n’a pas été, soit quand même un peu. Jack parle, Damien retranscrit. Jack parle de tout de rien, surtout de son métier, écrivain, de son ancien métier, enseignant, de la vie, des modes de vie, de leurs évolutions, de la ville, de ses maîtres en écriture, de la communication et surtout de la langue. Derrière la voix qui parle, les questionnements incessants, c’est la pensée qui se construit, et l’œuvre qui s’écrit. Continuer la lecture de Chronique livre : Moo Pak

Chronique livre : Tout passe

de Gabriel Josipovici.

Dans une pièce vide au plancher nu, un homme regarde par une fenêtre au carreau cassé. Et c’est tout. Voilà l’histoire de Tout passe, minuscule roman (par le nombre de ses pages), mais grand roman (par la beauté de son texte). Tout passe est un petit objet minimaliste, pointilliste, impressionniste dans le sens où il “impressionne” l’esprit du lecteur, il le marque d’images, de musique et de mots.

Tout passe. Le bien et le mal. La joie et la peine. Tout passe.

Tout passe oui mais parfois pourtant l’esprit s’accroche à des souvenirs, parfois seulement des bribes, des éclats. Et ce sont ces bribes que cet homme à la fenêtre se remémore. Et à partir de ces quelques fragments, le lecteur peut reconstituer une vie entière, combler les vides.

Avec une incroyable économie de mots, Gabriel Josipovici amène le lecteur à embrasser la vie et l’oeuvre de cet homme à sa fenêtre. Manque d’écoute, amour d’enfance refoulé, intransigeance, passion pour la littérature, le portrait dressé par l’auteur n’est pas tendre, voire même violent, derrière la beauté miniature du style, et la douceur générale qui se dégage de ce livre dépouillé.

Et puis en creux, le portrait d’un écrivain, condamné à regarder la vie des autres depuis sa tour d’ivoire, et de regarder sa propre vie faute d’avoir réussi à la vivre. Beau, tragique et bouleversant.

Ed. Quidam Editeur
Trad. Claro