Chronique livre : Prendre dates

de Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet.

Chronique publiée initialement dans le numéro 30 de l’indispensable Revue Dissonances.

« Comment oublier l’état où nous fûmes, l’escorte des stupéfactions qui, d’un coup, plia nos âmes ? »

prendre_dates-652x1024Il faut peu de choses parfois (ici les premiers mots d’un texte) pour réaliser que les plaies ne sont et ne seront jamais refermées, pour dégeler les douleurs enfouies et leur redonner vie. A quatre mains, un historien et un écrivain relatent les attentats de janvier 2015, un peu avant, un peu après, pour rendre compte, poser sur papier les faits externes et les processus internes, ce qu’ils ont pensé, ressenti, à juste place entre le déroulement des événements et le début de la mise à distance. Et c’est bouleversant. Bouleversant de justesse des sentiments, et d’intelligence.

« Ce qu’il fallait d’abord, c’est prendre dates, et le faire à deux pour se préparer à être ensemble, puisque deux en somme est le premier pas vers le plusieurs ».

Prendre dates est un livre nécessaire en ce sens qu’il refuse la mort de l’émotion collective qui nous a saisis à la gorge et qui s’est pourtant évanouie à peine éclose. Le livre peut-être vu en ça comme un espace de recueillement, un lieu dans lequel on peut raviver sans honte ce sentiment rare et puissant de communion, d’existence d’un « nous » si rarement tangible. Mais l’émotion n’est rien sans intelligence. Fin, subtil, documenté, Prendre dates nourrit l’esprit, révèle, met en lumière les rouages, les failles, les zones d’ombre et ose même proposer, anticiper, s’engager. Aujourd’hui, la dernière phrase de l’ouvrage résonne douloureusement aux oreilles du lecteur et ancre définitivement l’absolue nécessité de l’existence même d’un tel livre :

« On sait faire, […] : s’occuper des morts et calmer les vivants. Pour le reste, ça commence. Tout est à refaire. »

Ed. Verdier