de Zhang Yimou
Madame a une liaison avec son beau-fils, et Monsieur le prend mal. Du coup il empoisonne Madame un peu plus chaque jour sous prétexte de la soigner. Madame s’aperçoit des méfaits de Monsieur, et décide de se venger. De son côté, le beau-fils a une liaison avec la fille du toubib, qui finalement se révélera être sa demi-sœur, puisque l’ex de monsieur s’est remariée en secret avec le toubib. Au final, le petit dernier fera une crise d’adolescence et d’autorité, assez vite jugulée, le cadet prouvera qu’il est vraiment un fils à maman. Du coup, comme on est dans la Chine du 10ème siècle, que Monsieur est empereur et Madame Reine, tout le monde meurt, sauf Monsieur, et c’est ballot, parce qu’en fait, c’est lui le méchant.
Voila grosso modo l’histoire de la Cité interdite, film chinois à superlatifs : une reconstitution grandeur réelle de la Cité Interdite, des dizaines de milliers de figurants (et oui, les scènes de batailles finales ne sont pas numériques, les scènes de foules ne sont pas composées de clones virtuels), des costumes ayant demandé des mois de travail, des décors intérieurs surchargés (vaut mieux pas être daltonien j’pense)…
Et pourtant, La Cité Interdite est un film d’une extrême lenteur. Ce qui intéresse Zhang Yimou, ce sont les dessous du fonctionnement de cette hallucinante cité impériale. Lever et préparation des servantes, rituels ponctuant la journée, nettoyage et remise en ordre d’une cour après une bataille… on retrouve bien là le réalisateur d’Epouses et Concubines, à essayer de trouver les grains de sables dans ces univers codifiés (« Allumez les lanternes rouges… »). La répétition des gestes, des habitudes, créent une rythmique tout à fait particulière et inattendue dans un tel film.
« Or et jade à l’extérieur, pourriture et décadence à l’intérieur », dans ces fastes, la caméra s’attache pourtant à filmer de près ses personnages, à raconter une histoire intime, un drame familiale. On est dans un monde clos, sans ouverture aucune sur le monde, la lumière provenant des éléments de décor eux-mêmes. Quand les personnages veulent de l’intimité, on déplie de légers rideaux translucides, la caméra se place derrière, car des secrets, finalement, dans un tel palais aux cloisons de papier, il ne peut y enavoir. Ce qui frappe, c’est l’extrême lisibilité des images, malgré ces décors totalement surabondants (Sofia Coppola aurait dû en prendre de la graine avant de filmer calamiteusement Versailles). Les personnages sont toujours le centre d’attention au milieu de toute la quincaillerie, et c’est très fort.
Au milieu de tout ça, et pour vendre son film, Zhang Yimou a bien dû y coller des scènes de batailles, passage obligé. Je ne suis pas bon juge, les batailles, ça me gonfle. Visiblement lui aussi, car à ces moments là, il casse complètement son immense jouet, on est entre les tortues Ninjas et les Chevaliers du Zodiaque. Je soupçonne derrière tout ça un humour au millième degré. « Ah vous voulez du sang, vous allez en avoir les enfants », les soldats en jaune se retrouvent scotchés comme des mouches aux immenses boucliers à clous des soldats en gris, les soldats en gris utilisent la technique de la tortue, comme les romains dans Astérix… Ridicule aussi Chow Yun-Fat, qu’il faudrait botoxer tellement son froncement de sourcil (juste le droit hein), et sa torsion de bouche sont horripilants (ok c’est le méchant, mais bon, quand même quoi).
Mais oublions ça, reste une histoire intime dans un décor hors-normes, la description d’une décadence en marche, des images sublimes (ou immondes, faut avouer que c’est spécial quand même). Zhang Yimou reste quand même le gars qui a réalisé Le Sorgho Rouge, Qiu Ju, et Vivre!, il ne perd pas totalement la main sur son film. Reste aussi un cri, le cri de la fille du toubib qui vient d’apprendre qu’elle a couché avec son demi-frère. On passe en un quart de seconde à une révélation limite ridicule à un cri et une fuite poignants dans une Cité interdite vide, et qui se termine inéluctablement par la mort.
Inégal mais bigrement intéressant.