d’Eric Pessan.
“Toutes les histoires devraient commencer ainsi : par un brutal arrêt, un hoquet dans la course folle, le monde se vide et deux personnages se font face.”
D’un nom vaguement entrevu, à un présentoir de librairie, et un quatrième de couverture qui fait tilt. Un homme à la dérive est coincé dans un TGV en rase campagne sarthoise suite à un incident de personne, tournure qui m’a toujours glacée pour signifier un suicide. Cet homme épuisé, bourré jusqu’à la gueule d’histoires terrifiantes confiées par des étrangers lors d’ateliers d’écriture dont il est l’animateur, craque, et déverse à sa voisine d’attente ses histoires récoltées, et ses histoires à lui. Les digues cèdent comme il le répète plusieurs fois.
Incident de personne est un livre intéressant et intelligent, touchant aussi. Il brasse un grand nombre de sujets fondamentaux qui se rapportent à l’humanité, à la survie intérieure. Le suicide, l’arrêt brutal du train, le coup au sternum, l’attente et le huis-clos ferroviaire servent de déclencheur à une parole trop longtemps contenue et emplie d’histoires exogènes, mais qui sont venues se loger là, et peu à peu ronger, grignoter l’énergie, la vie du narrateur. Comment font ces gens pour survivre à ces horreurs qu’ils ont vécues ? Les coucher sur le papier a t’il servi à quelque chose ? Que deviennent ces histoires par la suite ? Combien des peines des autres est on capable d’écouter, et de porter ? Comment survivre à la sédimentation des confidences des autres qui restent graver en nous ? On sent que ces questions, Eric Pessan se les pose constamment, dans tous les sens, et de là naît cette sensation de répétition qui surgit de temps en temps à la lecture d’Incident de personne. Le processus pourrait sembler redondant, mais il est profondément sincère, collant à la pensée de son narrateur. Une pensée usée, qui tourne en boucle et cherche un moyen de sortir de ses circuits noircis. Une pensée qui à force d’avoir été attentive aux autres s’est oubliée et part en quête d’elle-même.
L’écriture de Pessan est belle, peut-être un peu classique parfois, parfois sèche et tranchante, parfois tendre et émouvante lorsque le narrateur semble retrouver un minuscule point d’ancrage dans la vie quand sa voisine endormie pose sa tête sur son épaule. Le huis-clos est seulement perturbé par des apparitions fugitives et fantomatiques en provenance de l’extérieur, créant une atmosphère quasiment fantastique autour de ce train perdu en rase campagne. L’irruption onirique des animaux des bois dans le wagon est un beau moment, une oasis, une échappatoire, un moment hors du temps, suspendu. Une belle découverte, de celles qui savent mettre des mots sur ce qu’on ressent.