de Pierre Terzian.
Tu cries et tu sautes.
Prologue, un homme tombe dans une crevasse, où plutôt s’y laisse tomber. On rembobine. Qu’est-ce qui a amené cet homme à la chute ? Crevasse c’est l’histoire de ce type, racontée à coup de “tu”, pronom casse-gueule par excellence, et de phrases courtes et incisives. Notre personnage n’est pas verni. Petit prolo blanc élevé dans une cité, chétif et rouquin, mal-aimé par ses parents, il devient un adulte en errance, sans repère, qui vagabonde entre métiers ponctuels, et bars à putes. Et puis c’est la rencontre avec la montagne, et avec Yilmaz.
Crevasse est le récit d’une chute inévitable, programmée dès la naissance. Pierre Terzian nous raconte cette trajectoire en montagnes russes à coup de phrases courtes, assénées. Ca s’enfonce par à-coups, ça creuse, ça perce, ça fait mal. L’ambiguïté de ce “tu”, martelé, prend là tout son sens, donnant au point de vue un caractère mouvant. “Tu” du narrateur qui s’adresse à son personnage mort, comme pour le sortir de l’oubli, “tu” adressé au lecteur le plongeant dans un douloureux jeu d’identification.
Le texte commence sur un rythme intense, phrases ultra-courtes, généralement sujet (tu) -verbe. Ça fonctionne très bien, mais on a un peu peur que ça ne tienne pas sur les 150 pages. Pourtant la phrase s’adapte à l’évolution du personnage, s’enrichit (un peu) dans les moments d’épanouissement (la découverte de la femme, les excursions en montagne), mais toujours elle conserve ce rythme d’enfer, qui rend difficile de poser le livre. On comprend vite que les périodes (relatives) d’épanouissement précèdent toujours une chute, dans un rythme cyclique de montée-descente, expansion-rétractation. Et plus la montée sera haute, plus la chute qui suit sera profonde. Ainsi notre personnage, le mal-aimé, l’exclu, qui a vécu toute sa vie sans connaître la vraie tendresse, ne peut résister à l’intensité de sa découverte.
Et c’est sans doute ça le plus beau de ce livre, de montrer la fragilité des gens en mal d’amour et de tendresse, les pieds au bord du vide, et pour lesquels le moindre témoignage de douceur a l’intensité d’une tempête tropicale.
Ed. Quidam Editeur
J’en profite pour informer mes chers lecteurs, que Quidam Editeur, dont le catalogue éclectique m’a déjà ravie plusieurs fois par le passé, est en grande difficulté. Alors pour les fêtes, au lieu d’offrir des merdouilles électroniques, ou des trucs qui font grossir, offrez des livres ! Et tiens, pourquoi pas des livres de chez Quidam ? Si vous avez un bon libraire, demandez-lui conseil, et insistez pour lui commander du Quidam, même s’il vous dit que ce n’est plus distribué. Sinon, allez farfouiller sur le site de l’éditeur, et commandez-lui directement par mail : réception rapide, et avec le sourire (j’ai testé pour vous).