de Perrine Le Querrec
– Vos fautes / sa folie
Un couple et sa fille Paule s’installent dans le Béarn, ils sont propriétaires terriens, étrangers, ne s’intègrent pas ou mal à la population. Naîtront d’autres enfants, dont Jeannot, envoyé trop jeune en Algérie. Joséphine, la mère mal-aimante, Alexandre le père, autoritaire et incestueux. Le père se suicide, et Jeannot doit reprendre la ferme, mais il n’en est pas capable et tout dérape. Le trio restant, Joséphine, Paule et Jeannot forment une cellule familiale dysfonctionnelle et autarcique. La fin de l’histoire, ce sera la fin de Jeannot qui meurt de faim après avoir gravé les 15m2 du plancher de sa chambre de lettres majuscules formant des mots formant des phrases sans point ni virgule fustigeant de manière violente et décousue la manipulation des esprits par les machines et la religion. Le plancher de Jeannot, gravé, buriné, poinçonné par un jeune homme fou, un cri, un testament ou une oeuvre d’art brut fascinante.
C’est ce plancher, aujourd’hui considéré comme une oeuvre d’art brut, et de nombreuses fois exposé qui a réussi à pénétrer Perrine Le Querrec suffisamment intensément pour déclencher en elle cette curiosité et envie d’écriture. Comment parler du plancher, comment faire ressentir ce qu’elle a pu ressentir à la vision de ces lattes malmenées ? Perrine Le Querrec cherche, fouille, creuse dans l’histoire familiale. Son écriture est une inquisition dans le fonctionnement de cette famille, dans ses pensées, les germes de sa folie. Le point de vue de la narration est mouvant, passant de l’un à l’autre des personnages, essayant de manière holistique de cerner, comprendre, de creuser, de déterrer. C’est rugueux et dérangeant. L’auteur cherche, par la force de son écriture, d’une poésie brutale, à révéler, faire s’entrechoquer les corps, les pensées et les choses, à révéler, pénétrer la psyché de ses personnages. C’est à la fois triste et très beau, parce que ces gens-là, derrière et malgré leur folie, la déchéance à la fois matérielle et physique dans laquelle ils vivent, respirent, réagissent, pensent, possèdent leur part d’imaginaire et de fantasme, leur part d’humanité, dont le témoignage, puissant autant que dérisoire se trouve aujourd’hui gravé dans le bois.
Le plancher est un livre dérangeant et fascinant, d’une grande force par la parole qu’il réussit à rendre à ceux qu’on écoute jamais.
Ed. Les Doigts dans la prose
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