Chronique film : Tetro

de Francis Ford Coppola.

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Aveuglé ? Clique.

Point de suspense inutile : Tetro est une pure merveille. Difficile de définir ce film : à la fois classieux comme un polar ricain, exubérant et onirique comme du Fellini, ample et ambitieux dans sa forme, mais évidemment personnel et intime pour Coppola. Une espèce de film somme donc pour le maestro, conjuguant les influences de ses origines et de ses maîtres, un formalisme absolu au service d’une puissance de narration incroyable. Dès les premières images, on est scotché par la beauté de la photo, ce noir et blanc contrasté, tranchant. On pense à Rusty James, bien sûr, de par la photo, et le thème. Mais Tetro est beaucoup plus ambitieux et plus profond dans son intention.

Tetro est un film sur la famille, et la place de chacun dans la famille. Comment survivre à sa famille, comment s’y faire une place, comment se pardonner et comment pardonner, comment accepter. Le chemin est difficile pour Tetro et son très jeune frère Bennie. Il y a un sacré passif dans cette famille : un père chef d’orchestre célèbre et charismatique, la mère de Tetro morte dans un accident de voiture alors qu’il conduisait, une jeune fille qu’il aimait et que son père a épousé… Tetro a choisi la fuite pour survivre. Miranda est tombée amoureuse de lui et l’aide à se reconstruire. Ou plutôt à se construire. Car Tetro, étouffé par son père dans ses aspirations d’écrivain (« il ne peut pas y avoir deux génies dans la même famille » dit-il, lapidaire), n’a pas réussi à extérioriser ses sentiments et son talent. L’arrivée de son petit frère sert de déclencheur à la révélation des secrets de famille.

Dans TetroCoppola nous raconte à la fois son histoire passée sous forme d’une espèce d’auto-fiction, et projette en même temps ses angoisses de père dont les deux enfants suivent une voie similaire à la sienne. Replonger da

ns le passé pour se projeter dans l’avenir le mieux possible, pour ne pas refaire les erreurs commises par les parents, c’est le challenge que se fixe Coppola. Et sous sa caméra, cette histoire prend un dimension folle. Parce que Coppola n’est pas manchot de la caméra. Sa mise en scène est somptueuse, puissante, notamment dans la deuxième partie du film. Il joue énormément avec les lumières, lumières qui aveuglent lors de l’accident de voiture, lumières de la célébrité qui attirent et aveuglent en même temps. Et puis quelles merveilles que ces scènes oniriques, surréalistes : une mer qui envahit une scène, une poupée vivante qui se désarticule, ou encore cet enterrement magistral qui part de l’immensité de la salle, pour se concentrer sur une baguette de chef d’orchestre.

Un très grand moment donc qui signe le retour en fanfare du maître. Brillant et intense.

Chronique film : Max et les Maximonstres

de Spike Jonze.

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Même pas peur, clique.

Ahhhh Max et les Maximonstres, c’est presque toute mon enfance. Ce sacripant de Max qui après avoir été envoyé au lit sans manger, va faire un tour au Pays des monstres parce que c’est forcément plus amusant, et puis finalement rentre chez lui parce qu’on y est pas si mal. Sacré challenge de transformer ce très court livre composé d’une petite dizaine d’illustrations et autant de petites lignes de texte. Et Jonze réussit plutôt son pari, même si le film souffre de problèmes de rythmes certains. Mais au-delà de cette petite faiblesse, c’est un ineffable bonheur.

Jonze a non seulement réussi à imprimer sa patte dans cet archi classique sans pour autant le trahir. Les premières scènes sont un bonheur. Max, gamin turbulent et joli comme un coeur, construit un igloo, emmerde sa soeur, veut trucider le chien à coup de fourchette : hyper actif et attachant, en manque d’amour et d’attention flagrant, un père absent, une mère aimante mais qui bosse. En se construisant un igloo, il se reconstruit un vrai cocon, une matrice, qui une fois détruite l’amène à faire n’importe quoi. C’est à la fois son abri qu’on profane, et cet abri, c’est aussi un peu sa mère, son refuge, contre laquelle il ne consent aucune attaque, aucune diversion : quand on détruit son igloo, il saccage la chambre de sa soeur, quand un mec drague sa mère, il s’érige dans son costume en peluche en essayant de faire son petit roi, se braque et finit par s’enfuir au pays des monstres.

La mise en scène est nerveuse, au plus près de ce gamin dont on imagine aisément qu’il est un mini-Jonze en puissance. L’enfant s’enfuit donc de sa mère auprès de laquelle il s’imagine qu’il a perdu son statut de petit prince pour le pays des monstres : un pays dans lequel il est le centre de l’attention, le roi, au milieu de bestioles pelucheuses qui ne demandent qu’à suivre aveuglément ce petit gnome en costume de loup moustachu. Après les premières craintes vaincues (ce sont quand même des monstres qui, jusqu’à présent, ont bouffé tous leurs précédents rois dont on voit subrepticement les os), Max se sent bien au milieu de ses nouveaux amis : ils sont bagarreurs, plein d’énergie, mais aussi aiment dormir empilés les uns sur les autres. Max trouve un monde qui correspond à ses besoins d’enfant, et au départ, s’y complait avec béatitude. Mais progressivement le nouveau monde se craquèle complètement. Une jolie monstresse part voir ailleurs de nouveaux amis et Max est abandonné de nouveau comme par sa soeur adolescente qui lui préfère ses copains et sa mère qui ramène un gars à la maison. Carol, le meilleur pote de Max pète les plombs et devient ingérable (la mère de Max avait d’ailleurs employé le même vocable pour désigner son fils). Bref, le joli monde monstrueux de Max se craquèle : les situations qui le traumatisent chez lui se répètent dans son nouvel environnement. Les motifs sont donc récurrents. Où qu’il aille, les gens auxquels il est attaché iront voir ailleurs, pète les plombs, sont dépressifs, ou totalement absents (le monstre « taureau », figure complètement mutique lointaine, sorte d’ombre paternelle). Les monstres, ce sont donc à la fois les projections de ses proches, mais également de ses propres peurs et comportements. C’est très intelligent de ne pas avoir fait de projection directe entre les personnages et les monstres (tel monstre serait la mère, tel autre la soeur…), mais plutôt de faire des peurs et des comportements des caractères universels, dont on ne peut pas se protéger et qu’il faut apprendre à contrôler pour pouvoir vivre en société.

Alors oui, ok, ça fait un peu « Freud pour les nuls chapitre 1 », mais c’est très efficace et émouvant de voir ce petit garçon essayer de recréer encore et encore la matrice et finalement réussir à s’en détacher en sortant de l’oesophage de sa copine monstre qui l’avait caché là pour qu’il puisse échapper à la fureur de Carol (donc un peu à ses propres fureurs enfantines). Une bien belle adaptation donc, dans laquelle le réalisateur se dévoile, mine de rien, derrière des personnages de poils et de plumes. Joli.

Chronique film : Avatar

de James Cameron.

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Clique si tu n’as pas peur que ça s’effrite.

Eh oui, il faut le dire, même si ça fait mal : Avatar est un gros navet. Pour qui se fiche comme d’une guigne de la technique, il ne reste à l’écran qu’un film médiocre et très peu intéressant. Pourtant ça commence plutôt pas mal avec cet histoire d’un soldat au corps marqué par l’Histoire (il est paraplégique) et à qui on donne la possibilité de devenir partie prenante d’une recherche scientifique pointue en intégrant le corps d’un hybride d’humain et d’extraterrestre. L’homme ne semble plus pouvoir survivre que via des corps qui ne sont pas les siens : soit des corps mécaniques (masques à oxygène, robots militaires), soit des corps vivants d’une autre espèce. L’idée est donc plutôt bonne au départ.

Hélas. Plus le film avance, plus l’esthétique et le traitement de l’histoire deviennent ringardes. C’est bien simple, on dirait que Cameron a joué à tout plein de jeux vidéos d’aventures disons de la période 2001-2006 (genre la saga Myst, ou Schizm pour les connaisseurs) et qu’il tente de reproduire (mal) les décors de ces jeux. Par conséquent, c’est vraiment du déjà-vu, les couleurs sont relativement infâmes, ça va beaucoup trop vite et le tout se transforme rapidement en un maëlstrom coloré tout à fait moche. Les extraterrestres ne sont pas convaincants (sauf leurs oreilles, expressives), jouent très mal (un comble pour des créatures numériques), l’animation n’a fina

lement rien d’extraordinaire. En ce qui concerne l’histoire là aussi, pas grand chose de puissant : l’humanité est en bout de course, la course aux profits provoque aveuglement, guerre et destruction (jusqu’ici on ne peut qu’être d’accord), mais heureusement les gentils extraterrestres bleus proches de la nature s’unissent et réussissent à vaincre l’homme, à le renvoyer dans sa merde sur Terre, pour continuer à communier avec les arbres. Le héros préfère perdre son humanité pour rester parmi les êtres bleutés. C’est beau, tout à fait louable. Le seul souci, c’est cette merveilleuse société bleue, si proche de la nature, et qui pourtant, sous la caméra de Cameron, réussit à vaincre l’humain en reproduisant ce qu’il y a de pire en lui : pas d’autre moyen que la violence pour juguler la violence (on va quand même pas se laisser marcher sur la gueule hein), éloge permanent du courage virile (notre héros est accepté parmi les êtres bleus parce qu’il réussit à dompter un gros pioupiou pas gentil, putain, il a de ces couilles quand même).

Du coup toute la réflexion sur la fin de l’humanité, et le choix d’un autre chemin de vie tombe singulièrement à plat : pas sûre qu’une société composée uniquement de chasseurs, même proches de la forêt, soit la voie de salut de l’humanité (l’a jamais dû se promener dans les bois un jour de chasse Cameron). On assiste donc à un complet hors-sujet, le réalisateur n’a clairement rien compris à son thème (pourtant louable à la base), et a laissé la technologie complètement bouffer la réflexion. J’ai beaucoup lu que l’attaque du grand arbre était une métaphore du 11 septembre (pourquoi pas), et que Cameron allait très loin en suggérant que l’armée américaine était responsable de cette attaque. Hypothèse intéressante, mais pas sûre que Cameron soit allé aussi loin dans sa réflexion. J’ai plutôt l’impression que, comme dans tout bon film américain il y a les bons (les extraterrestres) et les méchants (les hommes), point barre.

Le film est, de plus, d’un sérieux papal, pas un gramme d’humour, de second degré. Il est également totalement dénué de ce qui faisait des précédents films de Cameron des réussites : de sentiments au milieu du grand Barnum. L’histoire d’amour entre les machins virtuels se contente d’un simple baiser très niais. On est très très loin des déchirements d’Abyss et de Titanic. Un ratage total donc, de plus de 2h40. Ca fait long le ratage.

Chronique film : [●Rec]²

de Jaume Balagueró et Paco Plaza.

Clique sur le machin qui fait vraiment peur.

Je dois être complètement maso pour être allée voir la suite du déjà très peu passionnant premier [●Rec]. En fait, on pourrait faire un copier-coller de cette première critique, à une différence près : ici c’est pire. Oui oui c’est possible. Tout comme son grand frère, [●Rec]² est gerbant, et ce n’est pas une métaphore : le film donne physiquement la gerbe. Me suis retenue pendant tout le film de pas courir aux toilettes, mais la présence d’un pot de pop-corm vide délaissé sous un fauteuil m’a rassuré un temps.

Bref, même si le film garde un côté frontal assez sympa (les zombies attaquent de manière fort peu délicate), il devient ici complètement systématique, et finit donc par ne plus foutre spécialement la trouille : à force d’utiliser le schéma zombie-attaque de front (très attirés par les caméras ces bestioles d’ailleurs) Balagueró et Plaza cassent leur jouet à faire Bouh. Pour le reste : tout est nul. Les réalisateurs s’auto-coulent. L’idée de départ aurait permis un renouvellement bienvenu (c’est la suite directe du premier épisode, un commando de gros bras avec chacun une caméra pénètre dans l’immeuble). Malheureusement, Balagueró et Plaza n’utilisent aucunement les possibilités que leur offrait la présence de plusieurs caméras. On aurait voulu des split-screens bien choisis, il y avait mille choses flippantes à imaginer avec ce processus. Et rien. On passe d’une image à l’autre de manière plate et sans aucune inspiration.

Le scénar est déplorable et rebattu (ahhh le coup de la possession démoniaque comme explication du barouf, c’est vachement innovant… le coup du sang qui réagit à une agression, ça ne vous rappelle pas quelque chose ? et la bestiole qui rampe dans la gorge de la jeune première pour la contaminer… rhôôô X-files, sort de ce corps ), et surtout bourré d’erreurs de cohérence (mais où est elle donc passée la petite bouclée ? mmm ?). L’interprétation est encore pire que dans le premier opus (sisi c’est possible, le curé est énorme, une grande finesse d’expression). Vraiment rien à sauver dans ces 2 productions donc, gerbantes et ennuyeuses à mourir en même temps, sans fond aucun, et sans forme non plus.

Vous pouvez effacer l’enregistrement.

Et joyeuses fêtes. Youpi.

Chronique film : La danse – le ballet de l’Opéra de Paris

de Frederick Wiseman.

Qu’y a t’il derrière les strass ? Clique.

Difficile de faire une critique de cette pavasse de 2h40, pas forcément très sexy malgré les magnifiques arabesques de ses protagonistes. C’est du documentaire à l’état pur : une caméra, un micro. Pas d’intervention d’un personnage extérieur pour interférer avec le sujet. Et compte-tenu des nombreux photographes qui mitraillent les danseurs en pleine répétition, on peut parier que la caméra de Wiseman n’a pas dérangé outre mesure les artistes. Mais non intervention d’un tiers ne signifie pas objectivité, et c’est bien l’Opéra de Paris de Wiseman que l’on visite. Le titre du film est trompeur d’ailleurs, le véritable sujet du film est bien l’Opéra en tant qu’institution, depuis ses murs (de ses sous-sols aquatiques, aux coulisses, en passant par les salles de répétition, la cantine et le toit), à ses occupants (direction, balayeurs, couturiers,… et bien sûr danseurs), jusqu’à sa raison d’exister (donner à voir au public, perpétuer une tradition, mais également créer).

Ce parti-pris rigoureux balaie du coup nombre de réactions entendues en sortant de la salle : « bof, on entend jamais les danseurs parler ». Oui forcément, les danseurs ici, quelque soit leur grade dans la lourde hiérarchie de l’Opéra, sont vus plus comme les moyens que comme la finalité. Ils sont comme les autres occupants des lieux, à la différence qu’ils constituent la seule partie (humaine) immergée de l’iceberg : ce seront eux qui danseront sous le feu des projecteurs, eux qui seront chargée de donner à voir au public, eux qui seront les instruments de transmission de la tradition et de la création de nouvelles formes. Des instruments, de magnifiques instruments, dressés à l’excellence et la perfection, dont quelques uns, par leur intelligence et leur capacité à « être » réussiront à capturer le glorieux titre d’Etoiles. La danse, c’est aussi l’histoire de la lutte incessante contre la décrépitude, le vieillissement : aussi bien pour les danseurs, pour l’Opéra lui-même et surtout pour l’Art qu’est la danse.

Une danseuse déjà un peu « mûre » vient demander un allégement de sa charge de travail à la directrice elle-même (on sent dans cette demande une détresse sourde, l’obligation d’avouer que le corps commence à lâcher). Les danseurs se mettent en grève contre la modification de leur régime spécial de retraites et Brigitte Lefèvre leur assure qu’elle va argumenter dans le sens de l’excellence du Ballet (comprendre : un ballet composé de vieux croulants ne pourrait plus être le meilleur du monde). C’est fascinant et effrayant de voir cette vision des choses à ce point collective : Brigitte Lefèvre est comme la Reine de abeilles (il y a d’ailleurs des ruches sur le toit de l’Opéra de Paris), on sent derrière ses paroles, applaudies par les danseurs, la conscience que l’institution publique ne survit que par l’excellence de ses ouvriers, et qu’elle n’est pas là pour défendre les intérêts privés de chacun de ses salariés, mais bien pour perpétuer l’institution (« la survie de l’institution passe par son excellence, donc par le talent et la technique des danseurs, donc par leur fraîcheur » et non pas « le danseur a un travail très physique qui use le corps donc il faut qu’il puisse prendre sa retraite jeune »).

La lutte contre le vieillissement passe aussi par ces travaux incessants de restauration : plâtres, peintures,… on suit également les maçons, et électriciens dans leurs travaux, ou la restauration des costumes par des « petites mains » minutieuses et précieuses.

Enfin, on assiste à la lutte de Brigitte Lefèvre pour empêcher l’institution de sombrer dans un simple travail d’archiviste : malgré les possibilités qui leurs sont offertes, formatés, les jeunes danseurs préfèrent rester dans le classique plutôt que d’assister aux cours de danse contemporaine. Cette situation incroyable et plutôt paradoxale (les jeunes préfèrent rester dans le domaine qui les a moulés et ne veulent pas se lancer dans la nouveauté) est abordée au cours d’un entretien entre la Directrice artistique, des chorégraphes et répétiteurs et visiblement des représentants des jeunes danseurs. On sent lors de cet entretien la force et l’énergie qu’il faut injecter dans cette machine qui, en plus de se perpétuer doit réussir à s’inscrire dans la création, l’innovation. Un monde inconnu et effrayant pour des jeunes qui pratiquent le classique : un art techniquement ultra-exigeant et codifié, dont l’apprentissage nécessite un formatage, une rigueur autant physique que mentale, afin d’atteindre la perfection du geste. Mais la survie de l’institution passe aussi par le renouvellement, et le renouvellement passe par l’apprentissage et la création de nouvelles formes, qui nécessitent plus que jamais l’interaction entre la vision du créateur, et la sensibilité et l’intelligence de l’instrument (Brigitte Lefèvre en a bien conscience d’ailleurs en répondant à une jeune danseuse qui s’émerveillait devant Laetitia Pujol, que ce qui faisait de Laetitia Pujol une Etoile, c’était son intelligence).

Un beau film donc, pas facile, mais qui révèle toutes les grandeurs et tous les paradoxes d’une énorme machine d’autant plus indispensable qu’elle est là dans le but unique de faire vivre dans la durée l’art le plus éphémère qui soit.