Chronique livre : Retour définitif et durable de l’être aimé

d’Olivier Cadiot.

Venez, on s’emmerde on va se faire un petit coup de bridge.

retourdefinitifC’est derrière ce titre ravageur que se cache un des livres qui m’a le plus laissée sur le carreau, j’espère ni durablement ni définitivement. C’est à dire que parfois, vous avez beau trouvé très intéressant un parti-pris, une forme, un univers, les mots s’effacent, vous tombent des yeux les uns après les autres sans faire ni sens ni sensation, et qu’alors il devient bien difficile d’y trouver la moindre satisfaction. Continuer la lecture de Chronique livre : Retour définitif et durable de l’être aimé

Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

de Jean Philippe Toussaint

nueQuand on plonge dans Nue, sans savoir de quoi il retourne, on prend le risque de devoir immédiatement le roman achevé, courir chez son libraire pour acheter les trois premiers tomes de la quadrilogie. Non pas que le roman ne puisse se suffire à lui-même, comme chacun des autres volumes d’ailleurs, mais le charme, le mystère, la sensualité, l’humour, l’angoisse sourde et fondamentale qui s’échappent de ces pages donnent envie de creuser, comprendre, pénétrer un peu plus profondément dans ce récit romanesque étonnant. Continuer la lecture de Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

Chronique livre : Du hérisson

d’Eric Chevillard

Une confidence : j’écris pour gagner ma vie. Mais mes vraies passions sont l’immobilier, la bourse et l’import-export.

Pauvre écrivain que notre héros, condamné à ne pas écrire l’œuvre de sa vie à cause de l’apparition soudaine et inopportune d’un hérisson naïf et globuleux sur sa table de travail ! Imaginez. Vous vous installez pour la nuit à votre table de travail, avec votre crayon, votre gomme, et vos belles feuilles blanches, afin de coucher noir sur blanc l’histoire palpitante de votre vie, d’exposer vos tripes, vos douleurs et peines au monde entier, et voilà que sur votre bureau apparaît comme si de rien, un petit hérisson naïf et globuleux dont vous n’avez que faire, et qui, bien entendu, contrecarre tous vos plans de travail nocturne. Car quoi de plus perturbant qu’un hérisson naïf et globuleux sur une table de travail ?

C’est sur ce point de départ incongru qu’Eric Chevillard bâtit son récit. La présence du hérisson (naïf et globuleux) étant bien entendu l’occasion pour notre écrivain de déballer sa vie bien mieux qu’il ne l’aurait fait dans sa très supputative autobiographie, Vacuum extractor. Eric Chevillard compose son récit en courts paragraphes, dont la dernière phrase de l’un se termine au paragraphe suivant. Malgré donc le caractère morcelé que cette multiplication de paragraphes lui confère, le récit se lit donc d’un bloc. L’allongement parfois extrême des phrases, pleines de digressions, perd parfois le lecteur, volontairement.

Nul n’ignore plus que j’ai pour projet de raconter ma vie depuis ma naissance jusqu’à ma mort (les autobiographes ont souvent trop lâches pour finir le travail – j’irai jusqu’au bout).

Eric Chevillard est un malin. Du hérisson est un peu un autofictif à l’échelle d’un roman, une autobiographie sous couvert de l’autobiographie ratée d’un écrivain raté. La mise en abîme est évidente, et le choix du hérisson comme catalyseur des échecs de l’auteur est à la fois évident et intelligent.

Quant à lui confier un rôle équivoque dans une petite fable à double sens, jamais, hors de question, que l’on ne compte pas sur moi pour hisser hérissé au rang de symbole.

Tout comme dans Dino Egger, Du hérisson trace le portrait émouvant de la condition d’écrivain. Eric Chevillard compose un autoportrait au vitriol, jamais complaisant, tant son personnage est dérisoire et ridicule (il faut lire son voyage aventureux en Tunisie, qui se révèle en fait un simple voyage organisé). Mais les côtés grotesques du personnage sont compensés par ce qu’on peut lire derrière les lignes, la fragilité, les désillusions, la nécessité de se protéger du monde extérieur. En retraçant l’évolution (fantaisiste) du hérisson naïf et globuleux, d’abord dépourvu de sa paillasse, puis couvert de plumes douces insuffisantes à sa protection, et enfin armé de ses piquants, sa protection contre le monde, Eric Chevillard nous trace aussi l’évolution de l’humain, naissant fragile et vulnérable, et obligé de renforcer son armure pour résister aux agressions extérieures.

Drôle, brillant et brillamment écrit, Du hérisson fait partie des œuvres très personnelles d’Eric Chevillard, une sorte de pastiche autofictionnel, un Moi, Eric C., à l’image du Moi, Pascal F. de Pascal Fioretto, mais qui va bien au-delà du simple pastiche. Un pur bonheur littéraire, piquant, naïf et globuleux.

Ed. Editions de minuit

Chronique livre : Zéropolis

de Bruce Bégout.

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Super big méga fun ! LOL !
Mouais.
Clique tout de même.

Continuant mon exploration des écrits de Bruce Bégout, après la découverte du Park qui m’avait intensément interpellé, je me suis attaquée à Zéropolis. Premier essai de Bégout publié chez Allia, Zéropolis raconte “l’expérience Las Vegas” vécue par son auteur, en courts chapitres déroulant chacun une approche différente de la tentaculaire ville du néant.

Bien évidemment on sent que les racines du Parktirent leurs éléments nutritifs de cette expérience hors de tout : Las Vegas, comme parc d’attraction géant, proposant un modèle de société basé sur le fun, évinçant par là même toute notion de réalité, ou plutôt tentant de modeler la réalité dans son entier en fun. Pour aller dans le sens de l’auteur dans sa préface, Zéropolis ne nous apprend pas grand chose que l’on ne sache déjà sur le délire américain que constitue Las Vegas. Le modèle vegassien a trop largement été diffusé dans le monde pour véritablement constituer une immense surprise à la lecture de ces pages. Cependant, Zéropolis n’est pas exempt de qualités, et sa principale qualité est, comme tout bon essai, de faire croire au lecteur qu’il est intelligent.

Bégout, grâce à une écriture précise, claire et acérée parvient à nous faire pénétrer dans sa pensée, son raisonnement, sans jamais nous perdre. Nous naviguons sur le chemin éclairé aux néons de l’analyse de l’auteur, portés par le flot de ses réflexions. Le procédé fonctionne d’autant mieux que le style de l’auteur, s’appuyant sur le gigantisme vegassien, semble tendre vers la fiction, la fantaisie, ou plutôt l’horreur pure, pour un esprit aussi réfractaire à toute manifestation de joie collective qu’est le mien. Cette façon de capter l’attention du lecteur et de lui ouvrir l’esprit, par la seule force du style, à une pensée complexe et profonde, est fascinante.

Las Vegas n’était qu’un cauchemar sociétal et urbain que j’arrivais à tenir suffisamment éloigné de moi. Grâce à Zéropolis, mes angoisses les plus profondes se trouvent alimentées concrètement par les aplats multicolores et protéiformes d’une ville prosélyte dont l’aspiration clairement affichée reste de convertir au dieu Fun la terre entière. Terrifiant.

Chronique livre : Rapport sur moi

de Grégoire Bouillier.


Pour se rouler un peu plus dans le sable, clique sur la truffe.

Petit roman (autobiographique, autofictif?), publié en 2002 dans la jolie collection Allia, Rapport sur moi est une petite merveille délicieusement aigre qui se lit d’une traite. Grégoire Bouillier livre le récit d’une enfance chaotique et violente. Sans analyse adulte postérieure et superflue, il raconte anecdotes d’enfance, qui s’égrènent, disjointes, pour former une ensemble très cohérent.

L’écriture est élégante, presque précieuse. Une distance née de ce contraste entre style travaillé et événements racontés à hauteur d’enfant. Le résultat amène le lecteur à analyser lui-même les situations, à se forger lui-même ses opinions, et à découvrir avec effroi la dureté de cette enfance, de cette vie, de la vie en général, des vies. Des vies de merde, comme la plupart des vies.

Le regard de Bouillier est sans concession, il ne se dédouane d’ailleurs de rien, se forgeant un personnage au final pas forcément sympathique, violent, perturbé. Ça ne fout pas forcément une patate d’enfer, mais c’est un bouquin élégant, torturé et dérangeant. Donc indispensable.