de Rand Miller et David Wingrove.
Chroniquer tout ce qu’on lit comporte quelques risques, comme parfois ressortir du placard des livres engloutis il y a longtemps, et dans lesquels on remet le nez au cours d’un séjour chez grand-maman. La trilogie de Myst fait partie de cette catégorie, même si la relecture est nettement “moins pire” que prévue, le savoir-faire de David Wingrove venant soutenir l’imaginaire des frères Miller de manière assez convaincante.
Pour les ignorants, Myst est une série de jeux vidéos sortis de 1993 à 2005. Devenu très vite cultissime, Myst est l’archétype du jeu d’aventure pour geek gentil, solitaire et pas trop crétin, basé sur la découverte de mondes virtuels et la résolution d’énigmes. La grande réussite des frères Miller est d’avoir créé un univers cohérent basé sur une culture inventée (la culture D’ni), qu’on découvre progressivement au fur et à mesure de l’avancement de la série. Les romans permettent d’approfondir cette découverte (pour les fans) ou de commencer l’exploration des D’ni (pour les non-initiés).
Opportunisme commercial, peut-être. N’empêche qu’il y a dans cette trilogie quelque chose d’assez joli et de pas si fréquent en S.-F. : elle est toute entière basée sur l’amour de la connaissance et le pouvoir des livres. Nos héros sont en effet des gens qui observent, étudient, et dont la préoccupation principale est le livre. Ces érudits peuvent, grâce à l’écriture, créer des mondes (ou plutôt relier des mondes lointains). Cette fascination pour la connaissance, l’écriture et les livres surprend agréablement dans cet univers du jeu vidéo, très éloigné du boum-boum-tatatatatatata ultra-violent qui fait en général recette. Il y a même quelque chose d’assez courageux dans le fait de prendre pour héros des « écrivains », ce choix explique d’ailleurs probablement mon enthousiasme pour Myst à l’époque.
Par ailleurs on peut lire Myst comme une métaphore géante du métier de créateur de jeu vidéo (et des métiers de création en général). Les D’ni écrivent des mondes dans une langue codée, mondes dont la stabilité dépend de la cohérence et de la solidité de leur écriture (Le livre d’Atrus). Mais tout ce processus créatif peut-être détruit par les méfaits d’un seul homme-virus, capable d’ébranler toute une structure solide et millénaire (Le livre de Ti’Ana). Le jolie mécanique s’essouffle clairement dans le troisième tome (Le livre de D’ni), dont l’idée de départ (l’attirance dangereuse pour une perfection de surface), plutôt futée pourtant, se voit mise à mal par une écriture et une construction plus que bancales.
Finalement, les trois romans de Myst évitent largement la débâcle totale. Il y a bien pire dans mes placards, mais ça on verra plus tard. Ou pas.
Ed. J’ai lu
Trad. Philippe Rouard (I & III), François Thibaux (II)