de John Cheever.
Ezechiel Farragut est un professeur marié, respectable, et juste un peu héroïnomane. Après un accident de tisonnier ayant provoqué la mort de son frère, il est incarcéré pour fratricide dans la prison de Falconer. Le roman raconte ce passage en prison, en digressant parfois un peu sur le passé de Farragut. Mais les plus belles pages sont indubitablement celles qui racontent la vie carcérale.
Il attendit que les lumières et la télévision s’éteignent et lut, à la lumière qui venait de la cour : « Je t’aime. »
La toxicomanie de Farragut semble agir comme un voile entre lui et la réalité de la prison. Compte-tenu de son niveau social, il semble s’adapter avec facilité à ce nouveau milieu et à ses codétenus. Aucun jugement n’émane de Farragut (et surtout de Cheever), il a assez des casseroles qui viennent régulièrement le hanter pour se permettre de juger les autres. Les hommes, qu’ils soient prisonniers ou personnel carcéral, sont décrits de la même façon, avec la même humanité, mais sans angélisme. Chaque habitant de Falconer se débat avec ses propres démons et ses propres fantômes, les prisonniers et les gardiens étudient pour obtenir un diplôme, se confient l’un à l’autre, font preuve tour à tour de cruauté ou de gentillesse. A Falconer, on y mange et on y baise, on y travaille et on y aime, on y triche et on y meurt aussi très bien. Et puis parfois, de Falconer, on réussit à s’en évader.
Ayez pitié de nous, essayez de comprendre nos terreurs.
Le plus beau passage du roman, c’est lorsqu’une révolte avec prise d’otages éclate dans une autre prison. Tout alors ne devient alors que terreur. Les gardiens et l’administration ont une trouille bleue que l’émeute se propage à Falconer, et des plans sont échafaudés pour endormir la vigilance des détenus. On confisque les radios et la télévision, on organise des récréations débiles (se faire tirer le portrait devant un arbre de Noël en plastique). Les rapports de force s’inversent alors entre ces gardiens qui essaient de tenir le cap alors même qu’ils sont morts de peur, et les prisonniers. Mais ceux-ci sont déjà assez éteints, et les maigres tentatives de secouer la baraque font long feu.
On peut lire Falconer également comme un roman d’apprentissage, et surtout d’apprentissage de la liberté. Car c’est finalement à Falconer, que, malgré lui et sans forcément qu’il s’en aperçoive, Farragut se libère de ses chaînes, son frère, son mariage, son addiction à la drogue. L’évasion finale peut alors être lue comme parfaitement métaphorique, une nouvelle naissance ( Farragut doit s’extraire du sac dans lequel il s’est caché). Et la générosité d’un homme post-évasion, une deuxième fois répétée, apporte un peu de chaleur à la noirceur de l’univers, une lueur d’espoir.
Un beau roman ricain, plein de creux et de bosses. Comme on les aime.
Ed. Gallimard
Coll. Folio
Trad. Michel Doury