Chronique livre : Suicide

d’Edouard Levé.

Un narrateur commente la mort par suicide et la vie d’un de ses amis disparu depuis des années. Le sujet est simple, mais prendre une toute autre ampleur lorsqu’on apprend que Levé a déposé son manuscrit à son éditeur quelques jours avant de se donner la mort. Ce contexte parviendrait à donner de la profondeur à n’importe quel navet. Mais Suicide est loin d’en être un.

Dans un style plat, épuré, aux phrases réduites au strict nécessaire, Levé bouleverse. C’est clinique sans chercher le pathos. Catalogue de sentiments, d’impressions, de moments vécus, appréciés ou non, Suicide nous tient à distance pour mieux nous faire comprendre son protagoniste. Le personnage passe son temps à masquer son mal être pour ne pas le faire peser aux autres, mais il reste toujours un peu extérieur à la vie, différent. Il culpabilise de ne pas se sentir bien alors que tout lui réussit : intelligent, bien marié. C’est très troublant évidemment, puisqu’on peut se retrouver un peu (beaucoup) dans ces descriptions, ces sensations, ces situations. La lecture est poignante et angoissante, parce qu’elle nous parle de nous. Je vous laisse avec ses mots.

« Tu croyais qu’en vieillissant tu serais moins malheureux, parce que tu aurais, alors, des raisons d’être triste. Jeune alors ton désarroi était inconsolable parce que tu le jugeais infondé. »
« Tu ne t’étonnais pas de te sentir inadapté au monde, mais tu t’étonnais que le monde ait produit un être qui y vive en étranger (…) Tu étais peut-être un chaînon défaillant, une piste accidentelle de l’évolution. Une anomalie temporaire non destinée à refleurir. »
« Dans cette ambiance à laquelle tu te sentais étranger, tu t’étonnais de parvenir à composer un visage de circonstance, qui, s’il ne contribuait pas à l’euphorie, ne la détruisait pas par son indifférence. »