Chronique livre : La Vie et rien d’autre

de J. G. Ballard.

Ohhh le beau miracle de la vie ! Clique. HiHi.

La Vie et rien d’autre. C’est sous ce titre infâme de banalité que J. G. Ballard nous offre son autobiographie. Vous allez me dire : c’est le titre traduit, la VO est mieux. Que nenni. Miracles of life, ça ne le fait pas pour l’écrivain britannique le plus provocateur de ces dernières décennies. Ca aurait été l’autobiographie de Douglas Sirk, je ne dis pas. Mais de la part de Ballard, ça laisse rêveur. Cependant au fil de la lecture on s’aperçoit vite que le Ballard de 2007 ne correspond pas à l’image que l’on peut se faire de lui. Il apparaît comme un pépé sympa et bienveillant, légèrement popote, totalement centriste, et qui lutte avec bravoure contre un méchant cancer de la prostate. Ca peut facilement casser un mythe.

On prend cependant pas mal de plaisir à lire ces morceaux très choisis de la vie de Ballard, en essayant justement de deviner ce qu’il y a entre les trous. Parce que des trous il y en a des béants, Ballard s’attardant énormément sur son enfance, son adolescence et le début de sa vie d’adulte : les deux tiers du livre sont consacrées à ses 25 premières années, le tiers final aux 52 années suivantes. Ballard, passionné de psychanalyse, s’attache donc à creuser les fondements de son existence plutôt que nous dévoiler celle-ci. Il parlera très peu de sa vie d’adulte qu’elle soit privée ou professionnelle. Il effleure ses écrits (juste ceux qui ont marché, ou ont été adaptés au cinéma), sa démarche, sa pensée et préfère s’attarder sur ses amis, ou s’extasier sur le beauté de la vie de famille.

Bref, Ballard passe son temps à éviter son sujet : lui-même. Et il le fait avec beaucoup de bonne humeur, de manière taquine, à peine dissimulée. Il en résulte un livre lumineux, qui, sans masquer certaines épreuves difficiles, préfèrent se concentrer sur les miracles de la vie que sur ses noirceurs. C’est joli quoi, mais aussi assez frustrant intellectuellement. Ballard nous donne tout de même quelques os à ronger quand il parle de ses idées saugrenues et mises en pratique (un concours de « littérature écrite sous stupéfiant » qu’une femme a remporté sous l’emprise de la pilule contraceptive, ou l’exposition très mal reçue d’épaves pour le conforter dans son envie d’écrire Crash!), ou de son histoire d’amour avec le whisky-soda. Mais on en restera là dans le décalage.

Un testament mignon et attendrissant, à contre-pied de ce qu’on attendait de la part de Ballard, mais qui affirme du coup qu’on a pas besoin d’être un punk cracra méchant et déviant pour être subversif, visionnaire et pertinent.

Chronique livre : Crash

de J. G. Ballard.

Ceci est une pomme accidentée. Clique.

Pfiou, je ne peux pas dire que je sorte de ce bouquin en sautillant partout en reniflant des fleurettes disséminées sous mes pas légers. Crash est un roman éprouvant, et rien d’étonnant que Cronenberg en ait fait un de ses films les plus dérangeants. Crash est une espèce de porno déviant qui sent la fin du monde, plein de bruit, de sperme et de fureur. Ecrit en 1973, le livre n’a en aucun cas perdu de son soufre : c’est ultra-moderne et nullement daté (juste peut-être dans les modèles de voitures, mais comme je n’y connais rien…). Personnellement restée scotchée et incrédule quand j’ai compris que l’histoire se déroulait à Londres, tant on a l’habitude que les univers ultra-urbains et déshumanisés soient plutôt américains, voire californiens. L’impact est d’autant plus fort puisque cette histoire se déroule dans l’univers habituellement cosy, rural et vieillot de l’Angleterre.

Crash raconte la fascination de son personnage (dénommé Ballard) et de sa belle femme, pour un certain Vaughan. Vaughan est un spécialiste de l’accident de voiture, et a développé une sexualité très particulière qui s’épanouit dans la tôle froissée, le verre brisé, et surtout les membres désarticulés, les cicatrices béantes. Nos deux respectables héros plongent peu à peu dans l’univers de Vaughan, et adoptent progressivement ses fantasmes. C’est très très cru, et pas forcément très ragoutant quand on est pas excité par les gros accidents de voitures. Mais on prend quand même une grosse claque en lisant ce bouquin.

Le regard de Ballard (auteur) sur ses personnages et surtout leur environnement est finalement assez froid. Les scènes de cul sont tristes à pleurer, le but n’est pas d’exciter le lecteur et le pousser à tamponner la bagnole de sa voisine pour avoir une érection, mais bien de décrire une société qui est arrivée au terme de quelque chose, une sorte d’aboutissement malsain, et dont les habitants dévient des standards pour se sentir vivants. La description de l’univers urbain, ultra-déshumanisé est scotchante. Au début du livre, le héros regarde depuis la fenêtre de son appartement au dixième étage : il ne voit rien d’autre que du béton. L’homme a tout colonisé, plus de place à la nature, étouffée sous des milliers de tonnes de macadam. L’immeuble est entouré par l’autoroute, l’aéroport, le centre commercial et les friches industrielles. La seule présence d’une quelconque « nature », c’est la prolifération de mouches se pressant sur les sucs divers de nos héros endormis dans une épave échouée sous la bretelle d’autoroute.

Les personnages sont arrivés au bout de ce qu’ils recherchaient : professions intéressantes et pas trop prenantes, argent. La femme roule en décapotable et passe son brevet de pilotage, le mari est publicitaire, pièce maîtresse dans la société de consommation. Pas d’enfant. Ce couple stérile, qui se perd dans des aventurettes sans lendemain, voit arriver Vaughan et ses perversions comme un aphrodisiaque à leur routine quotidienne. Ballard, loin de glorifier des pratiques sexuelles douteuses, en fait les conséquences déviantes d’une société consumériste à bout de souffle. Ajouter à ça que c’est magnifiquement écrit, et très honorablement traduit (malgré quelques tournures qui mériteraient sans doute d’être un peu modernisées), et on passe un grand moment.

Gerbant, mais un grand moment quand même. Et qui donne envie illico d’aller se faire des petits bisous dans les bottes de foin avec une petite robe en vichy rose.