Chronique film : La Soledad

de Jaime Rosales.


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Rarement film aura aussi bien porté son titre. On ne ressort pas de La Soledad le coeur plein de chaleur, que les choses soient claires. Rosales filme le quotidien d’Adela, une mère célibataire, qui quitte son bled pour vivre le rêve madrilène, et de la famille de la colocataire d’Adela. Pas plus.

Le film n’aura pas coûté cher en travellings, puisqu’il me semble qu’il n’y a que des plans fixes. La caméra se tient loin des protagonistes, ou plutôt elle nous tient à distance, quitte à mettre systématiquement un obstacle physique entre nous et les personnages : une porte, une fenêtre, un rideau. On se trouve dans une situation délicate, entre notre envie de se projeter dans ces personnages et ces situations universelles, et le cinéaste qui nous oblige à assister à leur vie en position de voyeurs. L’utilisation délicate et ponctuelle du split-screen est également très surprenante, allant à l’encontre de ses usages habituels. En général, le split-screen est utilisé comme un raccourci pour raconter deux histoires en parallèle, par souci d’efficacité. Ici, ce n’est pas du tout le cas, il n’y a en général qu’une action, qu’un personnage, qui se déplace d’une case à l’autre. Le fait que les cases soient « géographiquement » inversées est au départ perturbant. On assiste pas à une continuité d’action, mais bien à des séparations, laissant des pièces vides, des ruptures.

Ce qui est assez extraordinaire, c’est que cette forme systématique, rigide, fragmentée jusque dans ses chapitres, réussisse à faire naître un émotion aussi extraordinaire. C’est la volonté même du cinéaste de nous tenir à l’écart, qui provoque cette curiosité pour ces vies, pas vraiment formidables. On suit d’abord les personnages avec curiosité, puis avec avidité. On scrute les pièces vides avec anxiété, à l’affût du moindre signe de vie. Il faut souligner le travail extraordinaire des acteurs, et surtout des actrices, physiquement des monsieurs et madames tout le monde, qui réussissent avec finesse à faire passer des myriades d’émotions. La mise en scène très en retrait permet d’exacerber ces émotions, de nous mettre dans un état tel qu’on est prêt à les recevoir.

La Soledad est un film concept, anxiogène mais passionnant, pudique et émouvant. Well done.