Chronique film : Les Plages d’Agnès

d’Agnès Varda.


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Quelle ravissante petite chose que ces Plages d’Agnès, qui remplissent le coeur d’une émotion profonde, triste et gaie à la fois. Agnès Varda revient sur sa vie par bribes, par petits bouts, entre vrais souvenirs, souvenirs rêvés, recomposés, et totales fantaisies. Comme le sac plein à craquer renversé sur le Trocadéro, et qu’on range dans un désordre maîtrisé de belle manière, Varda a le bon goût de réaliser son autobiographie à sa façon, entre douceur, calme et engagement vivace. Comme elle le dit elle-même, c’est la rêverie d’une vieille dame un peu trop bavarde, et elle nous embarque avec elle dès la première scène, avec ces beaux jeux de miroirs sur une plage belge.

Varda fait d’ailleurs preuve d’une étonnante faculté d’auto-dérision « à la belge » (le secret de son étonnante jeunesse pour ses 80 ans?). Il faut la voir parler avec un gros chat à la voix synthétique représentantChris Marker, prendre une position de pin-up à côté de trapézistes musclés, ou se balader tranquillement à côté d’une manif avec un panneau « j’ai mal partout » en hommage à Sempé. C’est d’une délicieuse tendresse, elle réussit merveilleusement à mettre en scène sa silhouette roudouillette et bonhomme.

Mais évidemment, ce qu’il y a de plus joli c’est le regard qu’elle pose sur tous les gens qui peuplent son film, les morts et les vivants, la famille et les amis. Les souvenirs d’enfance, elle préfère les expédier rapidement. Ce ne sont pas ceux-là qui ont fait d’elle Agnès Varda (elle a d’ailleurs changé son prénom d’Arlette en Agnès). C’est la famille qu’elle s’est créée, les innombrables anonymes et célébrités qui ont gravité autour d’elle. Et on voit passer du beau monde.

Bref, Les Plages d’Agnès est un magnifique portrait d’une époque et d’une femme gravitant dans un monde intellectuel très masculin. Cette femme n’a eu de cesse d’aller de l’avant, de réaliser sa vie comme un film, en laissant (presque) tomber les ombres du passé pour ne garder que l’utile et l’agréable, et en s’appuyant sur ce qu’il y a devant. Magnifique. Bien fait d’attendre un peu pour faire mon top 10 des meilleurs films 2008.

Chronique film : Louise-Michel

de Benoît Delépine et Gustave Kervern.


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Louise-Michel fait partie de ces films qu’il est de mauvais ton de ne pas aimer. C’est ballot. Si je n’avais pas beaucoup de tendresse pour Yolande Moreau, Louise-Michel subirait un sort à peu près identique à Juno ou Home, en moins pire quand même, mais pas loin. Il fait partie de ces films « comédies décalées et grinçantes sur fond de crise social ». Malheureusement ce genre commence à être usé jusqu’à la corde et Louise-Michel ne renouvelle pas grand chose. Pas très drôle, pas très méchant, on a vraiment du mal à adhérer à cette histoire qui commence pourtant pas mal, avec l’entubage de dizaines d’ouvrières du textile par leur salaud de patron.

Le film aurait été bien meilleur en exploitant sa veine de poésie absurde (Moreau et Lanners tout crados qui dansent n’importe commun dans une somptueuse villa), ou dans un registre de « violence sociale froide » (long plan fixe, caméra en plongée, lointaine, sur les ouvrières qui se dispersent lentement dans une usine vide), que dans ses nombreux et gros gags qui tâchent (affligeante scène d’introduction notamment). Il ne suffit pas de rire des mourants pour être trash, la scène de multi-cassage de gueule d’une instit unijambiste dans Rumba est largement plus subversive et grinçante, ainsi que quasi n’importe lequel faux-reportage de Groland.

On ne peut pourtant que saluer l’intention de sécheresse de la mise en scène, toute en plans fixes, mais ça reste bien maladroit. Les compères se regardent un peu filmer, tout en se tapant sur le ventre en se félicitant d’être si drôles. Ca ne fonctionne pas, le scénario est par ailleurs trop brouillon, perd son chemin (la vengeance de petites gens contre le patronnat), reste dans la surenchère, et la plupart des idées apparaissent superflues. Bref, Louise-Michel n’est pas une grande réussite malgré la tendresse qu’on peut avoir pour les auteurs et les acteurs, et la jolie interprétation monolithique de Yolande Moreau ne suffit pas à maintenir en éveil.

On peut également s’étonner, dans ce film à tendance anar, de ce retour à la normale (et à la morale?) finale : les deux compères ayant dû changer de sexe pour pouvoir s’insérer dans le monde du travail, retrouvent leurs sexes respectifs et donnent naissance à un marmot. Tout est bien rentré dans l’ordre, et finalement, rien n’a vraiment pété. Snif.

Chronique film : Two lovers

de James Gray.


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Leonard est un garçon pas très bien dans sa tête. Blessé, fragile, il mène une vie terne chez ses parents, gentils mais pots de colle. Dès qu’il aperçoit sa nouvelle et blonde voisine, il tombe immédiatement amoureux d’elle. Mais ses parents lui présentent une jeune et brune potentielle, bien sous tous rapports, stable, qui satisferait parfaitement aux intérêts de la famille.

Longtemps attendu, j’avoue ne pas être complètement séduite par Two lovers, sans savoir vraiment expliquer pourquoi : c’est un film parfait. Le scénario est millimétré et les personnages finement dessinés : Leonard, instable, fragile, maladroit sans pourtant être un total lourdaud s’évade par la photographie, condamné à regarder ce qu’il aime au travers d’un objectif, d’un téléphone ou d’une vitre, à distance, Sandra, l’amoureuse discrète, raisonnable, gentiment rasoir et Michelle, l’insaisissable instable et sublimée. L’attention portée aux décors est impressionnante : la chambre de Leonard, chambre de garçon, remplie de bordel et de poussière, l’ensemble de cadres sur les murs…

Mais bon il faut avouer que cette histoire de triangle amoureux est une fausse bonne idée. On ne doute pas une seconde de l’issue du film, et on se désintéresse donc assez vite de l’histoire. Alors on se concentre sur la reste, et il faut avouer que ça vaut le coup. La photographie est une pure merveille, souvent sobre et élégante, avec parfois des cadrages très doux et audacieux (un très joli plan très serré sur une main qui caresse une joue, les clichés noir et blanc de Leonard sur le beau visage de Sandra). Gray sait s’adapter aux scènes, avec une caméra assez mobile et souvent fluide, son savoir-faire est impeccable. Très impressionnant aussi le travail sur le son, on est plongé en immersion dans ces appartements, avec leurs bruits de fond propres.

Bref, rien à reprocher à ce film où tout est impeccable, mais il me manque le petit truc qui aurait pu me déchirer les tripes et me faire crier à l’injustice éternelle des amours impossibles.

Chronique film : Hunger

de Steve McQueen.


Là je vous conseille pas de cliquer sur l’image. Mais c’est comme pour vous.

Bon comme film sympa du dimanche après-midi, Hunger n’était sans doute pas le choix le plus judicieux. En racontant le « Blanket and no-wash protest », cette grève de l’hygiène dans les prisons d’Irlande du Nord, Steve McQueen choisit des partis pris de mise en scène très radicaux, qui ont clairement pour but de tordre les tripes au spectateur.

La première partie racontant l’intégration d’un nouveau prisonnier est quasi muette, sans explication, on est plongé dans un univers difficilement soutenable d’un point de vue psychologique et visuel. Il faut le dire, c’est assez choquant, et nos habitudes hygiéniques font que l’estomac se soulève toutes les deux minutes en voyant les vers qui grouillent, les matières marronnasses étalées sur la murs, et la pisse répandue dans les couloirs. La deuxième partie assène un dialogue de plus de 20 minutes entre un prisonnier, le meneur de la révolte, et un prêtre, dont 15 bonnes minutes de plan fixe, en contre-jour. On est étourdi par ce soudain flot verbal après cette experience en apnée. Souvent difficile à suivre, on est à nouveau bousculé, mais cette fois-ci par une joute verbale. Le prisonnier annonce son intention d’entamer une grève de la faim, le curé tente de l’en dissuader. Les deux points de vue s’affrontent, se chevauchent, et on essaie de d’y trouver une place, de comprendre les enjeux. C’est difficile, mais moins que la dernière partie, montrant la déchéance physique du prisonnier durant sa grève de la fin. Très peu de mots également, juste la détérioration d’un corps, plié à une volonté de fer.

McQueen ne cherche pas à se faire aimer, et c’est tout à son honneur. Le film est difficile, exigeant, radical, n’hésite pas à montrer, mais aussi à expliquer durant la deuxième partie pourquoi tout ça. Le souci, c’est qu’au final, on en retire pas grand chose, on ne sait pas véritablement ce que McQueen veut raconter. Tout est léché, millimétré dans sa mise en scène, dans ses cadres, ses lumières, malgré la crasse, le film a un côté extrêmement esthétisant qui dérange à la limite plus que ce qu’il montre. Il veut à toute force nous soulever le coeur, ça marche certes. Le problème c’est qu’on n’est pas dans un film d’horreur, mais dans un film politique et humain. Les hommes et leur combat finissent par disparaître dans ce processus qui cherche à tout montrer (mais surtout ce qui est crade), et la réflexion qui aurait pu être très belle dans ce film (le corps comme ultime champ de bataille dans le combat politique), disparaît derrière la mise en scène choc.

Mitigée donc entre admiration pour la radicalité et la provocation, et doutes sur l’adéquation entre le fond et la forme. Nspp.

Chronique film : la Vie moderne

de Raymond Depardon.


Du coin de l’oeil, clique sur l’image.

Bon allez, pas de mystères superflus : La Vie moderne rentrera de toute évidence dans mon Top10 de l’année, et se placera très probablement dans le trio de tête. C’est ce que j’ai vu de plus beau et émouvant depuis pas mal de temps (vous allez me dire, je ne fais pas très fort sur les films et les bouquins en ce moment). Depardon suit depuis des années des paysans de moyenne montagne, notamment des Cévennes. La vie moderne est le dernier volet de sa trilogie (Profils paysans) consacrée à ces hommes et femmes, aux vies d’un autre temps.

Le film commence par un long plan sur la route qui mène à la première ferme. La voiture roule doucement, quelques notes de Fauré accompagne cette descente vers une petite vallée encaissée. On croise un homme qui conduit son troupeau de brebis, il est vieux, il est cassé, mais il est debout. Puis on arrive à la ferme. Depardon filme et interroge alors les paysans dans la durée, respectant leurs rythmes, leurs silences. Le même schéma se répète tout le film : trajet qui mène à la ferme, mise en situation des personnes, et quelques questions.

Depardon photographie avec amour et un respect infini toutes ces personnes, ils sont tous magnifiques. Les cadres incroyablement composés, sont de toute évidence très mis en scène, mais révèlent la personnalité de ses protagonistes (patriarche sur le devant, le fils et la mère derrière, deux frères légèrement décalés, ou un couple filmé côte à côte). Loin de donner l’impression d’artificialité, ces cadres fixes permettent au temps de s’installer à son aise, aux petits choses de se produire : on sent, au changement de lumière durant une scène, les nuages passer dans le ciel, un pendule vient interrompre quelques rares mots, un bon gros toutou gniaque en une fraction de seconde la main de son maître, une petite mamie aux yeux qui pétillent ne peut pas s’empêcher de dire au caméraman de boire son café avant qu’il refroidisse… Ce processus ne serait rien sans l’émotion incroyable qu’il dégage.

Depardon se place en témoin d’un monde immuable, aux changements très lents, mais qui tend à disparaître, ou au moins achève un cycle. Il filme des gens qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux gens de mon enfance dans le Périgord profond : rareté des mots, gestes qui comptent, durs à la tâche, un monde archaïque sous bien des aspects certes, mais au mode de vie respectueux du temps qui passe, de la nature, un monde à l’opposé de la société de consommation qui extirpe à la planète ses richesses sans contrepartie. Alors évidemment, ici pas de militantisme pour qu’on retourne tous à la terre, mais c’est déchirant de voir ceux qui ont la volonté de le faire, les petits jeunes, de ne pas pouvoir.

Film humaniste, écologiste à sa façon, La vie moderne est tout simplement bouleversant. Le dernier plan, qui laisse derrière lui cet « ancien monde » qui s’accroche est une pure merveille qui déchire le coeur. Chapeau bas, Monsieur Depardon.