Chronique film : Bullhead

de Michael R. Roskam

Voilà un film tout à fait curieux, qui, s’il n’est pas véritablement convaincant, est au moins original dans le paysage du cinéma belge, et même européen.

Jack est éleveur bovin, comme son père avant lui. C’est une montagne de muscles, encore plus shootée aux hormones que ses bêtes. Autour de ce personnage se construit une double histoire. D’une part Jacky est une des pièces maîtresses d’un trafic d’hormones vétérinaires à grande échelle, que la police essaie de démanteler, d’autre part, le colosse est la victime d’un « accident » dans son enfance, dont les conséquences le poursuivent inlassablement.

Le scénario, bien que particulièrement alambiqué, est assez intelligent. Ce ne sont en effet pas les actions de Jacky dans le trafic d’hormones qui vont en faire le suspect numéro un de la police, mais bien les actes que son douloureux passé le pousse à faire. L’intime, déjà encombrant, prend le pas sur le professionnel, et le traumatisme initial sera l’origine de la perte de Jacky. Certes le côté psychanalytique est ras le bitume et surexploité, mais d’un point de vue scénaristique c’est assez intéressant. La mise en scène également ose, nerveuse, parfois volontairement brouillonne, et surtout très attentive au corps de son héros, Jacky, véritable sujet du film. La caméra capte ce corps puissant et difforme à force de muscles, avec attention, fascination et rejet tout à la fois. Par ailleurs, le film est aussi intéressant par ses changements de registres. Du film noir (l’enquête policière), au film sociologique (le milieu de l’élevage en Belgique), en passant par la comédie (les deux garagistres wallons), il y a une véritable audace dans cette démarche.

Malheureusement, malgré toutes ces qualités, le film ne réussit pas à convaincre entièrement. Il souffre de beaucoup de longueurs, dues notamment à cette surabondance de flash-back, à la complexité inutile du scénario, et à l’utilisation abusive du ralenti, dont décidément on devrait légiférer l’utilisation. Le réalisateur pêche par son audace même, mais contrairement à Animal Kingdom (auquel ce film m’a parfois fait penser), Bullhead évite le phénomène du film de petit malin, par une certaine sincérité, et la réelle attention qu’il porte au corps de son héros. Pas un grand pied donc, mais sans aucun doute un réalisateur à suivre.