Chronique livre : L’usage du monde

de Nicolas Bouvier.

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Plus de profondeur, clic rail.

Si l’été fût riche en clichés photographiques, il le fût beaucoup moins en lectures. Outre le très beau Guide Bleu consacré à Rome, un seul roman m’a poursuivi pendant un mois. Ça ne tombait pas si mal compte-tenu du sujet de l’ouvrage. L’usage du monde est un livre de voyage, mais un voyage qui prend son temps, suit le rythme de la vie et des saisons. Dans les années 50, Nicolas Bouvier, écrivain et son ami peintre Thierry Vernet sont partis en quête de l’Orient mystérieux.

Dans ce voyage, ce n’est pas vraiment la destination qui importe, mais surtout la manière de l’atteindre. Le voyage prend ses lettres de noblesse, jalonné de détours, d’arrêts plus ou moins longs, plus ou moins consentis, mais rarement prévus. « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » L’usage du monde est contenu en entier dans ces phrases. Loin d’un parcours de santé, c’est l’occasion de rencontres, de solitudes, de maladies, de découvertes.

Les arrêts sont parfois très courts, et l’écriture étant très riche, on finit par être un peu perdu. Le début du roman est en cela un peu confus, et il faut attendre que les deux compères s’arrêtent pour l’hiver dans la ville de Tabriz pour que l’ouvrage atteigne une belle ampleur. Petites scènes, éléments d’ambiance, personnages croisés se côtoient au sein d’une écriture magnifique qui a tout compris de la vie. Le regard est léger et profond à la fois, les voyageurs sachant rester modestement à leur place d’étrangers, sans asséner de vérités idiotes sur les lieux qu’ils croisent ou occupent, sans porter de jugement. Un profond respect pour ces différentes cultures émane du livre. C’est ça qui est assz magnifique dans ce bouquin : à la fois immense dans son talent d’écrivain, de croqueur de scènes, dans son sens de l’observation et de la formule, Nicolas Bouvier est incroyablement modeste dans sa démarche, à la fois de voyageur et d’écrivain, se mettant toujours en retrait fasse aux lieux, aux personnes et à l’action.

Il termine d’ailleurs son livre par ces propos « Ce jour-là, j’ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie s’en trouverait changée. Mais rien de cette nature n’est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr. » Devant tant de talent et de modestie, on ne peut que s’incliner très bas. Respect total.