de Norman Mailer.
Qui est Gary Gilmore ?
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Je suis encore sous le choc de cet ouvrage magistral et magnifique qu’est Le chant du bourreau. Ayant réservé cette énorme pavasse de 1300 pages pour des temps oisifs, je m’attendais vaguement à m’ennuyer en reconnaissant un travail documentaire impressionnant. Si le travail de journaliste est effectivement incroyable et faramineux (Norman Mailer, dans sa postface avoue que la transcription de l’ensemble des interviews qu’il a mené comportaient 15000 pages…), Le chant du bourreauva beaucoup plus loin qu’une simple compilation de documents. A la fois portrait d’une Amérique engoncée dans ses principes archaïques, réflexion sur la peine de mort et le système judiciaire américain en général, description d’une famille américaine et des gens qui gravitent autour, histoire d’un criminel, romance noire bouleversante, Le chant du bourreau est une oeuvre vaste, complexe, foisonnante.
Bizarrement, Mailer, connut pour être le “chantre des protestataires” comme l’indique le quatrième de couverture, semble refuser la polémique dans son écriture, ou plutôt on sent qu’il ne la cherche pas à tout prix. L’écriture est d’une grande neutralité, retranscrivant avec un talent monstrueux les propos des gens qu’il a rencontrés. Fidèle aux expressions des protagonistes, à leur manière de parler, à leurs souvenirs, Norman Mailer montre ainsi un immense respect pour l’être humain, quelques soient ses opinions, ses agissements. Bien sûr le roman dans son ensemble n’a rien de neutre, il est au contraire d’une grande force, mais elle résulte de cette manière à la fois intime et lointaine de rapporter les propos, les faits. Réussir à garder cette distance d’écriture sur 1300 pages, sans jamais laisser percevoir ses opinions personnelles de manière frontale laisse sans voix. C’est un immense tour de force.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire au premier abord, Le chant du bourreau n’est pas un livre sur « la peine de mort pour ou contre? ». Bien sûr Mailer en parle copieusement, mais la détermination de Gary Gilmore à être exécuté pourrait faire vaciller n’importe quel détracteur de la peine capitale (temporairement bien entendu). L’histoire de Gary Gilmore soulève en fait des monceaux de questions outre “la société a t’elle le droit de prendre une vie”. Ce qui semble le plus crucial ici est comment une société et ses agissements peut-elle amener un homme à délibérément s’ôter toute possibilité de continuer à vivre, comment un homme intelligent et a priori sain d’esprit peut-il en toute connaissance de cause préférer mourir que de continuer à vivre dans la société américaine de la fin des années 70. Le procés de Gilmore sous la plume de Mailer se transforme alors en procés de l’Amérique profonde, engluée dans ses croyances, son système délirant, ses traditions, son moralisme douteux.
Outre cet aspect des choses, Le chant du bourreau est une formidable histoire intime. Mailer réussit bien entendu un portrait fascinant de Gary Gilmore et de son histoire d’amour avec Nicole Baker. Gilmore est un personnage ambigu, intelligent, angoissant, aux facettes multiples. Aux actes les plus mesquins et répugnants, il associe une grande dignité, une grande force spirituelle, et une capacité d’aimer déchirante quoique malsaine. Sa passion (partagée) avec Nicole Baker est d’un romantisme noir total malgré le sordide du quotidien, et a fait se tordre mon coeur de midinette déjà méchamment en lambeaux.
Le chant du bourreau est ce que j’ai lu de plus beau depuis environ un an, un livre énorme, un monument de la littérature. Oh toi lecteur (je n’ose même pas mettre lecteur au pluriel tant je doute que quelqu’un ait eu le courage ou l’inconscience de lire tout ça), cours dare dare en les murs de ta librairie préférée. C’est un ordre.
Pour la bonne bouche (euh façon de parler), un extrait d’une des lettres écrites par Gilmore à Nicole Baker durant sa détention. Mineurs s’abstenir. (J’adore le “frolic in the water” coincé entre tous ces détails… intimes).
« I stayed so fucked up on that beer and Fiorinol I’m afraid I never really gave you a good fuck – makes me feel bad – wish I could fuck you now when my body is on the natural, clean and pure and not full of booze and Fiorinol. I would lay you on your back and put some vasalene in your bootie and fuck you there until we both came – and then take you to the bath tub and frolic in the water with you for a while and scrub each others back and butts and arms and legs and balls and cock and pink cunt and tell you a story while we both soaked and you smoked a cigarette. »