de Robert Altman
C’est avec un pincement au cœur que je me suis dirigée vers le cinéma ce soir. Ben oui, voir le dernier Altman, c’est quelque part réalisé qu’il n’y en aura plus d’autre (vu le retard altmannien que j’ai, y’a de la marge, ok, mais quand même…). C’est donc toute attendrie que je me suis installée dans la salle, je n’ai même pas gueulé contre le géant qui s’est assis devant moi alors qu’il n’y avait encore personne, et me suis contentée de changer de siège.
Bref. Commençons par le commencement : le titre. Je faisais remarquer la semaine dernière la futilité de la traduction de « The departed » en « Les infiltrés ». Cette semaine, je m’insurge ! Le distributeur (?) a réussi à traduire le titre américain « A Prairie Home Companion » en… un autre titre américain, plus bateau tu meurs « The Last Show »… bon j’avoue que là, la logique m’échappe totalement.
« A Prairie Home Companion » (APHC pour les intimes) est le nom d’une émission culte et kitsch de la radio américaine. Se déroulant en public, elle présente en direct, et devant des millions d’auditeurs chansons country, et pubs pour du ruban adhésif. Altman et Garrison Keillor (le vrai présentateur de l’émission) ont scénarisé une fausse dernière émission. APHC mêle vrais protagonistes de l’émission et acteurs chevronnés et brillants.
On connaît depuis longtemps le goût d’Altman pour les films choral, géniaux (Short Cuts, Gosford Park) ou assez ratés (Company). Dès le début de APHC, on est plongé dans l’effervescence des coulisses avant le début de l’émission. La caméra passe de l’un à l’autre, souvenirs épars, papotages, arrivée des artistes, et sur tout ça, l’ombre d’une rumeur « ce serait la dernière émission »… Puis l’émission commence, et les choses se calment, les chanteurs attendent, aiment, bavardent.
C’est beau et c’est tendre, intime comme pas possible. La mise en scène est classe et discrète, avec un sens du cadre qui ravit l’œil, et une photo dans les tons bruns qui est magnifique. Les décors sont vraiment réussis, impressions de vécu, photos jaunies aux murs, un voile qui vole devant un ventilo…mille petits détails inutiles donc indispensables.
APHC est un film qui déborde de tendresse, regard tendre sur ces personnages et sur des acteurs en état de grâce. Kevin Kline est inimitable en détective grotesque et gaffeur, mais au sens du rattrapage certain, Meryl Streep a l’œil humide en permanence et tchache sans arrêt sans que ça n’intéresse personne, et son duo avec Lily Tomlin restera dans les annales. Citons également le duo Woody Harrelson et John C. Reilly (transfuge de Paul Thomas Anderson) en cow-boys branques (lefty et dusty qu’ils s’appellent), qui balancent des blagues ras les pâquerettes, au grand dam du réalisateur, et à la grande joie du bruiteur qui accompagne tout ça de manière suggestive.
A noter que Paul Thomas Anderson, autre maître du film choral (ahhh Magnolia) a assuré le suivi du tournage en cas de défaillance d’Altman…il s’en est fallu de peu. Alors oui, le film est peut-être un tout petit peu trop long, oui il ne faut pas être allergique à la country (au bout d’une heure quarante Altman lui-même a du en avoir ras le bol, il a mis du jazz au générique de fin), mais il reste un film vivant, très joli, très doux. Beau testament pour ce grand monsieur du cinéma.