Chronique film : Canine

de Yorgos Lanthimos.

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Prêt à combattre cette bête féroce ?
Ouaf ouaf.
Clique.

Canine le confirme, la Grèce est bien en crise. Grand film malade, probablement réalisé par un gars qui a quelques petits soucis familiaux (oh mais trois fois rien), Canine m’a fichu un sacré coup sur la tête et une belle migraine (pour la bonne cause).

Une maison isolée du monde, entourée de hautes clôtures de bois. Dans cette maison vit une famille : les parents, deux filles et un fils. Ils n’ont pas de prénom. De cet univers clos, seul le père peut sortir, en encore uniquement en voiture. Seul lien avec l’extérieur, il fournit à la maison toutes les denrées dont elle a besoin, y compris une fille (Kristina) pour combler les pulsions sexuels du garçon. Cet enfermement est visiblement une décision conjointe du père et de la mère, complices de cette ruse pour garder leur progéniture sous leur toit. Et de la ruse ils en déploient des wagons : détournement de vocabulaire, miniatures d’avions qui s’écrasent dans le jardin, création de monstres dangereux vivants à l’extérieur et qu’il faut combattre en aboyant (les chats !)… Mais dans cette mécanique bien huilée, les choses déraillent progressivement : les jeux entre les enfants (déjà adultes) deviennent de plus en plus pervers, Kristina introduit le monde extérieur par le biais de deux cassettes vidéos (Rocky et les dents de la mère, qui donneront lieu à des remakes par la fille aînée hallucinants).

Canine est sans aucun doute un film exigeant, voire austère : plans fixes, pas de musique. Dans cet univers très cadré, rigide où le rire est chose rare (et quand il y en a on se le repasse en vidéo lors d’une soirée familiale), le moyen d’exister des enfants passe par la maîtrise de leur corps, de leur douleur. Les corps justement sont parsemés de cicatrices, de bleus, de bandages. Leur énergie enfermée, canalisée ne peut trouver d’autre exutoire que la sensation corporelle, quelle soit douleur ou plaisir (lêché et progressivement incestueux évidemment). Le film malgré sa rigidité est donc parfaitement incarné, et les corps deviennent les réceptacles ultimes de toutes les pulsions vitales, perverties par l’exclusion.

L’entreprise de Lanthimos est assez fascinante, de toute évidence Canine (Kynodontas en Grèce, “dent de chien”, formidable titre puisque la famille doit imiter les chiens pour faire fuir les méchants chats…) est une allégorie de la famille comme espace confiné, morbide, qui se dirige inéluctablement vers l’implosion. Mais le film réussit à ne jamais tomber dans la métaphore pesante, grâce à l’infinie imagination de ses auteurs. Les situations les plus énormes et risibles sont filmées avec tant de frontalité qu’on reste scotchés à cette spirale infernale. L’interprétation mérite également tous les éloges : les comédiens (surtout les trois “enfants”) sont formidables, entrant dans l’univers de Lanthimos avec un naturel, une naïveté confondants.

Un film fascinant, qui m’a foutu un gros coup d’haltère (ou plutôt trois) sur la caboche.