Chronique livre : La grande eau

de Živko Čingo.

Je n’ai pas le souvenir d’un autre endroit où l’enfance meurt si rapidement. Que je sois maudit s’il existe un autre lieu où l’on enterre aussi impitoyablement l’enfance.

lagrandeeauIl y a ce pays, ou peut-être un autre, sur lequel la guerre a déferlé, laissant derrière elle des orphelins qu’on se dépêche de parquer derrière de très hauts murs. Il faut leur apprendre à ces enfants, par tous les moyens possibles, l’ordre, le patriotisme et la morale, le tyran renversé pour le bonheur du peuple. Mais l’enfance a ses exigences et ses espoirs. Elle s’invente, invente des lieux de paix et de lumière derrière les murs, transforme les barrières en passerelles et un insignifiant bout de bois en figure consolatrice. L’enfance devient alors insaisissable, elle coule entre les doigts des bourreaux par la seule grâce du rire et de l’espoir. On ne peut pas maîtriser ce qui nous échappe.

mais vous comprendrez que l’homme a parfois envie de fuir l’ordre

Par le pouvoir de l’écriture, Živko Čingo oppose à la dictature de l’ordre et de l’obéissance le refus de la haine. Parsemant cette terrible histoire d’éclats de couleurs, de rire et d’espoir, son subtil jeu de mises en abyme et ses phrases heurtées, instables et répétitives, aussi insaisissables que l’enfance font naître la beauté parmi les ruines. Jusqu’au bouleversement.

Comment est-il possible que le fils de Keïten soit mort, (…) qu’il ne rirait plus. Que je sois maudit, son rire. Que deviendrait alors le jour, la nuit, le soleil, les étoiles, le vent, l’eau, tout, tout deviendrait sur cette terre silencieux et désertique.

Ed. Le nouvel Attila
Trad. Maria Bejanovska