de Catherine Ysmal.
Irène. Nestor. Ils sont ensemble, enfin ils ne le sont plus, et leurs voix s’élèvent, alternent, parfois interrompues par celle du voisin Pierrot qui revient mettre un peu d’ordre dans tout ça. Irène se perd dans les couleurs, les matières et les sensations. Nestor n’a de cesse de vouloir se justifier, sûr qu’il est de toute sa personne, mais pourtant, incapable de démêler le mystère Irène. Mais ce mystère ne demande rien, et surtout pas à être levé, Nestor plonge lui aussi dans la confusion, et l’ami Pierrot n’y peut rien que d’assister à la fois proche et lointain, à la fin du couple.
Tu voulais que tout soit dans la langue de tes mots bridés.
Comment ils se sont aimés ces deux là ? Nestor avec son besoin de tout contrôler, de tout cerner, les mots, l’environnement, et Irène qui est là, sans être vraiment là, qui aime être pieds nus dans la mousse, dans un univers qui n’est qu’à elle.
J’ai le cri rivé aux tympans, une note d’éternité.
Catherine Ysmal invente la langue de chacun de ses personnages. Elle a le courage de commencer le livre par le premier monologue d’Irène. L’écriture explose et éclabousse, comme l’esprit d’Irène, qui navigue entre passé, présent, sensations et rencontres. Le lecteur est brinquebalé dans l’esprit d’Irène qui se fiche d’être rationnelle ou comprise, qui ne fait que dire ce qui passe, là, maintenant, dans son esprit.
C’est bon d’avoir raison mais ce n’était pas suffisant avec elle qui ne se rendait jamais à l’évidence ou à la vérité.
En contrepoint, Nestor ressasse. Cette histoire, il est sûr de la connaître et veut nous la raconter telle qu’elle est. Pour lui. Mais Nestor n’expose pas la vérité, mais sa vérité, une vérité qui s’effrite progressivement. Ne pas réussir à comprendre Irène le rend fou, et sa langue change, s’étiole, pour se rapprocher finalement de celle de la femme qu’il n’a pas réussi à cerner, à comprendre et à aimer.
J’ai la folie pour moi, alliée jusqu’au déchaînement, et construis sur leurs exhortations au repos, un espace dans lequel je me promène en silence. J’ai été sage.
Irène, séparée de Nestor, seule avec elle-même semble suivre une trajectoire inverse. Son discours se fait plus clair, et la précision du travail sur la langue réalisé par Catherine Ysmal est très impressionnante. Sa langue est capable de retranscrire le bordel intérieur, l’émergence de la pensée et de l’être, ou au contraire sa dislocation.
Je remue sans bouger.
On pense évidemment à Beckett pour ce personnage d’Irène, qui ne peut plus bouger, mais dont l’esprit s’échappe, s’évade, triture. Et tout comme chez le maître, il y a quelque chose de très personnel et touchant, une connaissance profonde de l’âme humaine, une volonté d’exploration, d’extirpation, de racler la langue pour faire émerger quelque chose, qui oui, pourrait commencer à ressembler à un certain sens de la réalité et de la vérité de l’être. Mais un être qui accepte ses failles et ses fêlures, qui accepte de suivre un chemin qui n’appartient qu’à lui.
Brinquebaler du squelette chaque jour, non pas d’un pied devant l’autre, non, adopter plutôt la déambulation du crabe : aller de biais.
Les personnages de Catherine Ysmal sont des petits et des sans grade, des gens qui vivent dans les marges, et elle leur donne la parole, d’une manière forte et claire, elle en fait les héros de leur histoire, de manière finalement assez punk, un peu à la Kervern-Délépine du Grand soir. Une superbe découverte pour ce beau premier livre et une vraie curiosité pour la suite .
Ed. Quidam
Une réflexion sur « Chronique livre : Irène, Nestor et la vérité »