d’Adam Novy.
Voici un objet-livre original et beau avec son format presque carré et sa belle couverture blanche et rouge, un visuel qui n’est pas étranger à mon achat.
La cité des oiseaux nous plonge dans un univers ravagé par la guerre et envahi par les oiseaux. Cet univers est replié, l’Oklahoma se trouve voisin de la Norvège, de la Hongrie ou de la Suède dans une distorsion spatiale curieuse, l’époque est incertaine, sans doute un futur, mais pas forcément lointain, les quelques éléments permettant de dater l’histoire semblent très actuels, voir même légèrement désuets.
La ville dans laquelle se situe l’histoire, gouvernée par le despotique juge Giggs, a été ravagée par une guerre contre les hongrois. Le sous-sol labyrinthique de la ville est peuplé par des réfugiés norvégiens, que les locaux appellent « gitans ». Un équilibre très précaire règne entre la population locale et aisée, protégée par une armée de Rouges Noirs, et ces pseudo-gitans, pauvres, inorganisés et maltraités. Mais cet équilibre vacille lorsque des hordes d’oiseaux déferlent sur la ville, envahissant tout, dévastant tout. Deux hommes, un père et un fils, suédois d’origine possèdent le pouvoir de contrôler les oiseaux. Le juge Giggs décide alors d’embaucher les deux hommes pour « désoiseler » la ville et ainsi asseoir son pouvoir. L’irruption de ces deux hommes aux grands pouvoirs, le caractère rebelle de l’adolescent, transforment alors les rapports de force dans la ville.
Le lecteur est d’abord surpris par le style de l’ouvrage, simple, un peu vieillot, très oral. On a parfois l’impression d’être dans un conte des frères Grimm, les mots sont principalement là pour raconter une histoire, faire avancer la narration. L’auteur n’hésite pas à recourir souvent à l’ellipse pour masquer les incertitudes du récit ou tout simplement pour l’accélérer. Il y a quelque chose d’un peu rugueux dans cette écriture, d’un peu primitif, qui fait souvent penser que l’histoire est racontée lors d’une veillée au feu de bois, comme un compte-rendu mi-véridique mi-inventé, une sorte de légende urbaine véhiculée oralement d’une génération à l’autre. La fin du roman d’ailleurs ne nous donne pas tort. Ce style, cette oralité peuvent paraître un peu maladroite au début, mais révèle en fait d’une grande maîtrise de la langue, émaillée par-ci par-là, de quelques phrases très belles, poétiques et philosophiques.
La compacité de l’écriture rend cette histoire dense, il s’y passe des milliers de choses. Le narrateur au fil des chapitres change le point de vue de son récit, le père, le fils, le juge, ses enfants, essayant de retranscrire l’intégralité des événements ayant conduit à la situation actuelle, cette inversion du pouvoir et des rapports de force. Le monde imaginé par l’auteur est un monde dans lequel tous les repères sont bousculés : géographie farfelue, des vikings traités comme des gitans et dépositaires des dernières traces de culture (quelques livres, de la musique), un juge qui ne rend que sa propre justice et terrorise, torture à tours de bras, des oiseaux maudits ou objets de culte s’infiltrant partout à rendre fou tout le monde. Chaque personnage réagit aux événements en évoluant (ou pas) de manière inattendue : le petit rebelle n’a finalement pas très envie de devenir l’idole et le maître à penser de tout un peuple, le père opprimé et craintif prend goût au pouvoir jusqu’à l’abjection, la douce jeune fille devient pasionaria amoureuse. Dans ce monde instable dans lequel rien n’est sûr, rien n’est figé, tout est apte au basculement. L’instabilité politique naît de la répression, de la haine des autres et du refus de leur intégration et provoque l’instabilité sociale, la propagation de la haine et le renversement.
Livre étrange et intriguant, farfelu et profond, assurément unique dans le paysage littéraire actuel, La cité des oiseaux séduit par son originalité, ses personnages forts, et cette volonté, presque modeste mais entêtée, de raconter son histoire de manière simple, factuelle, dans un vrai-faux dénuement stylistique ultra-maîtrisé. Dites, vous êtes sûrs que le sol est bien stable sous vos pieds ?
Trad. Maxime Berrée
Ed. Inculte
Une réflexion sur « Chronique livre : La cité des oiseaux »