Chronique théatre : Elle brûle

Mise en scène Caroline Guiela Nguyen
Textes Mariette Navarro

Personne ne voit rien mais c’est moche. C’est monstrueux. Et en ce moment même, c’est en marche, en mouvement. Ça se multiplie, ça sort de nulle part. Et ça va s’étendre, ne pas arrêter de s’étendre. C’est comme un trou noir, de plus en plus profond, qui grandit, qui se métamorphose. Chaque jour c’est une nouvelle forme, on ne peut jamais l’apprivoiser, on ne peut jamais s’y habituer, tu comprends ? Il n’y a jamais de repos, il n’y en aura plus jamais. Ça a commencé depuis longtemps, avant même qu’on y pense. C’était peut-être minuscule au tout début. Un tout petit dérèglement. Si ça se trouve, ça a commencé dans un moment joyeux. Un étincelle, et l’expansion est lancée, la grande explosion, et c’est en train d’aspirer tout ce qui est vivant. Mais moi je ne veux pas que ça m’aspire, mais moi je veux rester debout.

Je n’avais plus vraiment l’intention d’alimenter le blog en chroniques sur des représentations théâtrales. Mais Elle brûle m’a tellement bouleversée que je ne peux pas m’empêcher de vous en glisser un mot.

ellebruleUn téléphone sonne dans un appartement, Emma ne décroche pas et soudain le répondeur se déclenche. Une voix appelle, pleure, résonne dans l’espace réduit de l’appartement et fait écho à ce qui se joue à l’intérieur d’Emma. Elle brûle, c’est l’histoire de l’ effondrement intérieur d’une femme, d’une famille, une consumation lente et inéluctable d’autant plus tragique qu’elle est sans prise, idiote, quotidienne, banale.

Lecture contemporaine de Flaubert, inspirée également de faits divers récents, Elle brûle utilise comme matériau de base le réel, l’ordinaire. Le spectateur traverse d’abord un petit musée rempli d’objets divers, de petits bouts de toute une vie, avant de rentrer dans la salle, intime, qui le projette vers la scène et son décor familier d’appartement lambda. En quelques tableaux, la pièce traverse dix ans de la vie d’une famille. Le pari est audacieux, d’autant plus qu’Elle brûle est une œuvre collective, née de la rencontre entre l’auteur, la metteur en scène et les acteurs. De cette rencontre un spectacle a vu le jour, fascinant et fragile.

Il n’y a pourtant aucun faux pas tant l’intelligence de la construction, de la mise en scène, du texte, des acteurs est immense. Tout est d’une justesse insensée, de l’utilisation de la lumière, de la musique, du décor, des costumes. Et puis il y a Boutaïna El Fekkak qui interprète Emma, dont le visage se refuse souvent au spectateur, et dont les moindres frémissements passent par le corps, la voix qui chante, se brise, se relève. Elle est magnifique, ils le sont tous d’ailleurs.

Emma c’est moi, c’est toi spectateur, c’est ta mère ou ta tante. Et il faut voir ce spectacle bouleversant qui m’a remué jusqu’au fond de mes tripes et remue encore, quelque part par là. C’est au Théâtre de la Colline et c’est jusqu’au 14 décembre.

D’autres informations sur le blog de Mariette Navarro (le texte cité ci-dessus en vient).

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