d’Alain Damasio
Aujourd’hui quand on me conseille ou qu’on me prête un roman de Fantasy, j’ai plutôt tendance à tordre le nez. La horde du contrevent vient me donner tort, et c’est d’autant plus une bonne surprise que c’est un livre de langue française, et qui justement l’utilise formidablement bien cette langue française.
Imaginez une large bande de terre, balayée par des vents irréguliers et dévastateurs, et dont l’ « Extrême amont », l’origine potentielle du vent, n’a pas encore été découvert. Pour réussir à atteindre l’extrémité de cette terre, des gamins, formés à la dur et chacun dans une spécialité différente, sont rassemblés en «hordes», ultra-organisées et doivent remonter le vent, « contrer » le vent. Durant toute la (longue) durée du livre, nos héros passent donc leur temps à marcher contre le vent pour atteindre ce très hypothétique Extrême-amont.
Geste magnifique ou dérisoire, cette lutte quotidienne, contre le vent mais surtout contre soi-même, est portée par chacun des membres de la horde. Chaque personnage, identifié par un symbole judicieusement choisi, possède sa voix, son langage. Parfois très littéraire, comme dans le cas de Sov le scribe, rêche et elliptique pour Erg le combattant ou encore plein de circonvolutions et de poésie pour Caracole, le troubadour, cette juxtaposition de langages, de voix personnelles constitue un patchwork littéraire intéressant et audacieux. On n’est clairement pas habitué à ce que les romans de fantaisie ou de science-fiction s’empare de cette question du langage, centrale ici. Non seulement Alain Damasio réussit à marquer l’empreinte de la voix de chacun de ses personnages, mais il va encore plus loin, menant une vraie réflexion et surtout une belle déclaration d’amour aux mots et à l’écriture. Sov le scribe a pour mission principale d’ « écrire » le vent, les mots gravés sur la pierre ou prononcés ont un pouvoir sur ceux qui les lisent ou les entendent.
La horde du contrevent recèle bien d’autres richesses. Malgré quelques passages un peu longuets, ou encore des explications tout à fait superflues sur les « mystères » de ce monde, le roman soulève des questions intéressantes sur la notion d’individu et de collectif, sur l’accomplissement de soi, de ses projets, sur la notion de choix également.
Le livre d’Alain Damasio constitue donc une très bonne surprise. Audacieux par son parti-pris d’écriture, sa foi en le pouvoir du langage, ses personnages extrêmement bien dessinés (Ahhhh ce Golgoth, repoussant, ignoble et fascinant jusqu’à son extrême fin), La horde du contrevent pourrait sans doute être un roman de la réconciliation entre adeptes de la fantasy et adeptes de l’écriture, ce qui constitue un gros, très gros challenge.
Ed. La Volte
Ed. La Volte
Une réflexion sur « Chronique livre : La horde du contrevent »