de Manuel Candré.
Très étrange livre que ce portique, deuxième roman de son auteur, après le très fort Autour de moi. En apparence complètement différent de son grand frère écrit dans une veine plus autobiographique, Le portique du front de mer relève pourtant d’un processus d’écriture qui me semble assez similaire.
Quatre amis perdent leurs journées et tuent le temps dans une cité balnéaire à l’abandon, R., coincée entre océan et désert. Entre quelques bières au bar, quelques parties de chasse à la raie des sables ou de jeu de société I.Go, les moindres velléités d’action de nos quatre amis se dissolvent. Raies des sables, I.Go, cela vous dit quelque chose ? C’est normal. Le portique du front de mer est inspiré en très grande partie du recueil culte de nouvelles de J.G. Ballard, Vermilion Sands.
Là où Ballard, d’un même cadre tiraient plusieurs nouvelles, Manuel Candré utilise ce cadre, et certains de ses personnages pour composer une fiction plus longue, diluée dans les souvenirs et la torpeur de R. Les pointes d’hystérie ballardienne sont ici étouffées par une écriture très maîtrisée, soutenue, légèrement distante. Et puis des ruptures commencent à émailler le texte, la phrase démarre, repart dans une autre direction, le rythme s’accélère, l’écriture se dérobe à mesure que la réalité se fissure, des paragraphes se répètent.
Et c’est là que l’écriture du souvenir d’Autour de moi refait surface. Parce que finalement ici, il s’agit de la même chose, seul le matériau de départ change. Dans Autour de moi l’enfance et l’adolescence du narrateur, revues par le prisme changeant du souvenir, servaient de terreau à la création d’un livre, ici il s’agit de l’univers riche de Ballard, de « l’espace mental » de l’auteur anglais qui sert de support, de prétexte à la création, toujours par le biais de ce prisme du souvenir. Prendre un matériau, l’explorer par l’esprit, la mémoire, il y a quelque chose des arts plastiques dans cette démarche.
Faussement léthargique, Le portique du front de mer se révèle être une passionnante exploration de soi, une manière de (littéralement!) déterrer ses cadavres pour construire, se reconstruire à travers la puissance de l’esprit et de l’écriture. Une belle confirmation.
Ed. Joëlle Losfeld
Une réflexion sur « Chronique livre : Le portique du front de mer »