de Ferenc Karinthy
Budaï est un linguiste émérite. Il connaît plusieurs dizaines de langues et possède talent et vivacité dans tout ce qui concerne les mots et les sons. Quoi de plus perturbant donc pour lui que de se retrouver dans un pays où la langue lui échappe complètement, rendant toute tentative de communication affreusement malaisée ? En se trompant d’avion lors d’une correspondance dans un aéroport, c’est pourtant ce qui arrive à notre fin linguiste. Budaï atterrit dans une ville étrangère dense et surpeuplée dans laquelle il ne comprend rien, ni la langue, ni le mode de vie.
Epépé est une espèce de cauchemar kafkaïen. Notre héros est perdu dans cette foule compacte de gens qui ne cesse de se déplacer en masse, de s’activer, de se bousculer. Les gens n’ont pas le temps de s’occuper du pauvre Budaï et de ses tentatives de communication. Pourtant celui-ci garde espoir jusqu’au bout, insiste, persiste, il essaie encore et toujours de faire tomber le mur de la langue pour comprendre et surtout se faire comprendre, mais rien y fait.
Epépé recèle un paradoxe : alors que son héros continue à garder espoir et à se battre, le lecteur lui se sent complètement étouffé par l’univers cauchemardesque et asphyxiant de cette ville. Ici, il y a du monde partout, ça grouille, ça marche, ça se déplace, ça achète. Pas de temps mort (à part quand il faut faire la queue, partout et toujours), pas d’espace pour respirer.
L’auteur est absolument virtuose pour décrire cet univers urbain dont les travers sont poussés à l’extrême. Le lecteur est plongé dans cette ville sans issue. Il n’y a pas de sortie ni physique ni intellectuelle. Pour moi l’expérience fût assez éprouvante dans le sens où ce cauchemar peut se rapprocher des miens. Mais reste un livre complètement maîtrisé, fascinant et incontournable.
Ed. Zulma
Trad. Judith et Pierre Karinthy