Chronique livre : Freedom

de Jonathan Franzen.

J’avoue un immense soulagement à avoir achevé cette pavasse dissimulée sous les traits d’un livre d’épaisseur normale. 718 pages compactes, à se débattre pour ne pas mourir d’étouffement en lisant cette saga familiale névrosée-light, dans laquelle on apprend que la vie, c’est vraiment difficile, mais que ça peut finir bien, pour peu qu’on arrive à aller jusqu’au bout.

Soit Patty, ex-basketteuse universitaire reconvertie en mère au foyer, mariée à Walter, fadasse mais brillant juriste écolo, deux enfants, une fille et un garçon. Tout est beau dans le tableau, jusqu’à ce que tout explose : Joey, le fifils à maman part vivre chez les voisins pour se taper la fille de la voisine. Patty, the perfect mom, supporte mal la trahison, et pourrit la vie de tout le monde avec son amertume. Dans ce récit à la construction étrange, on apprendra d’où viennent les personnages, ce qui explique évidemment toutes leurs névroses (chez Franzen, on se construit toujours contre, et jamais avec), et les excuse, même si franchement, ils sont tous terriblement insupportables. On apprendra aussi que trouver sa propre liberté, c’est vraiment compliqué mais pas impossible, et que la vie est semée d’embûches, mais c’est grâce à ces embûches qu’on réussit à se trouver soi-même (ah, ça vous en bouche un coin ça hein ?).

La construction fait alterner les points de vue : narrateur omniscient, autobiographie de Patty, puis focalisation du narrateur sur l’année 2004, et description des faits et gestes des personnages cette année-là, retour à l’autobiographie… C’est bancal, mais c’est également le point fort du livre, puisque cette construction sérielle permet à l’attention de ne pas totalement s’effondrer, et donne un rythme intéressant au livre.

Malheureusement, le reste ne suit pas. On comprend bien l’ambition de Franzen, d’écrire un roman ample, miroir de l’Histoire de l’Amérique, une Amérique colonisée à l’origine par des migrants anti-sociaux et dévorés d’ambition, dont les descendants génétiques, ont bien du mal à vivre ensemble et à vivre avec eux-mêmes. Les nombreuses références à La guerre et la paix font planer sur Freedom un parrainage beaucoup trop lourd pour les épaules du romancier. Mais surtout, Freedom est assez effroyablement écrit : phrases à rallonge, multipliant jusqu’à l’overdose la juxtaposition de propositions relatives, dialogues infinis, superficiels et maladroits. Tout ça colle au palais, embourbe la langue. Cette manière alambiquée d’aborder les choses semble mise en place uniquement pour dissimuler la pauvreté de ce que Franzen veut véritablement nous raconter.

On finit ce roman, finalement bien-pensant, en ayant l’impression d’avoir subi plus de 700 pages de leçon de morale. Et ce n’est clairement pas ce que je recherche dans la littérature. A quand le prochain Tom Wolfe au fait ?

Chronique livre : Faut-il manger des animaux ?

de Jonathan Safran Foer.

C’est avec une certaine méfiance que j’ai abordé ce livre. D’une part j’imaginais grosso modo ce que j’allais y trouver (je n’avais pas tort), et d’autre part, un essai écrit par un non scientifique sur une thématique aussi complexe que l’élevage et encensé par les Inrocks me semblait plus relever du phénomène bonne conscience bobo urbain que d’une étude objective des faits.

Si le côté “enquête” sur la filière élevage est nettement plus fouillée et objective que ce à quoi je m’attendais, le livre, malgré quelques tentatives formelles au niveau des entames de chapitres, n’est guère intéressant au niveau de son écriture, et même franchement passable. De la part d’un romancier, c’est extrêmement décevant même si on peut soupçonner la traduction d’y être pour quelque chose. Le livre balance entre deux mondes, celui de l’autobiographie (“oh lala depuis que je suis papa, je m’interroge sur ce que je vais mettre dans l’assiette de mon enfant.”) et le monde de l’essai scientifique (on est amené deux fois par page à aller consulter les notes de fin de livre constituées des références de ses dires). Ce parti-pris peut se défendre (comment passer d’un cas particulier, sentimental, le poulet aux carottes de la mamie, à des faits circonstanciés sur l’élevage en batterie), moi il m’a profondément agacé. On a clairement du mal à s’y retrouver dans ce livre mal construit et les messages, bien que chocs, se trouvent dilués dans les réflexions personnelles de l’auteur, bien moins intéressantes que les faits qu’il énonce (et dénonce).

Au-delà de cette forme bancale, on reste collé au canapé à la lecture de cette investigation sur le monde de l’élevage industriel. On a beau savoir, savoir que ce n’est pas joli joli, qu’il s’y passe des choses dégueulasses, que l’environnement est massacré à cause de ces élevages, on a beau savoir, on ne sait pas à ce point. Adepte des documentaires télévisés concernant l’alimentation (Le monde selon Monsanto, Assiette tous risques, Notre poison quotidien etc.), je n’étais pas totalement ignorante de ce que raconte Faut-il manger des animaux ?, n’empêche. Le livre oblige tout de même à réfléchir encore plus à la façon dont on se nourrit, quels impacts cela peut avoir, mais surtout qu’est ce que cela signifie d’un point de vue éthique, moral, politique. Se refuser de manger de la viande (ou du moins de la viande issue d’élevages industriels, c’est à dire la quasi totalité de la production des pays “développés”), c’est aussi refuser de cautionner un système politique agricole dont le but n’est pas de nourrir la planète, mais de la contrôler, de créer des besoins qui n’existent pas pour faire des profits à n’importe quel prix, quitte à empoisonner sciemment les consommateurs, ravager l’environnement, d’imposer aux animaux des sommes de souffrances colossales, et tout ça avec une quasi-totale impunité.

Ce constat n’est pas une découverte, mais les mécanismes qui l’anime et que l’auteur met à jour sont implacables et ne peuvent laisser insensibles et surtout passifs. Non. Manger de la viande (ou du poisson) n’est pas un acte anodin, n’est pas une évidence, n’est pas forcément un progrès social non plus aujourd’hui, et ce n’est pas parce que notre “nature” est omnivore, que nous sommes obligés d’ingurgiter (entre autres ! ) 27 poulets par an et par habitant. Les conséquences en terme de santé, d’environnement, de bien-être animal, sont trop importantes pour qu’aujourd’hui on fasse l’économie, à l’échelle individuelle et globale, d’une réflexion de fond sur la manière dont on s’alimente, dont on consomme plus généralement. Nous devons repenser notre manière d’être dans le système, à l’aune de ce qu’on découvre au quotidien, un système agro-alimentaire qui ne s’intéresse qu’au porte-monnaie des consommateurs, et dont l’argument principal est la volonté “philanthropique” de donner aux consommateurs ce qu’ils désirent. Alors, en tant que consommateurs et puisque ces sociétés se targuent de vouloir nous combler, essayons de transformer nos assiettes en acte de résistance, en reflet de nos convictions. Il n’y a pas de solution unique, pas de solution miracle. Mais il y a les produits locaux, les produits bios, sans OGM, équitables… tout un panel de solutions alternatives, qui, si elles se suffisent rarement à elles-mêmes permettent tout de même de consommer et de s’alimenter autrement.

Faut-il manger des animaux ?, malgré son côté foutraque peu convaincant sur la forme, permet donc néanmoins de rafraîchir nos savoirs et bousculer nos habitudes, ou du moins réaliser qu’un acte du quotidien, tellement banal (manger), peut être finalement un acte politique et philosophique. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.

Chronique livre : Le cinquième évangile

de Michel Faber


Ah ça fait pas du bien de remettre en cause la passion de JC.
Finis de l’achever en cliquant.

Entendu parler de ce bouquin sur France info, je ne sais plus, et il faut avouer que c’est un distrayant bouquin pour des vacances. Le cinquième évangile, c’est un peu l’anti-Da Vinci Code et l’anti-cinquième élément, ou comment un traducteur de textes anciens fout le bordel dans le monde en mettant à jour des textes très prosaïques sur la crucifixion de sieur Jesus.

Loin de professer la bonne parole, et de se terminer en apothéose remplie d’une découverte miraculeuse issue des textes anciens genre « ce qui sauvera le monde c’est l’amour », le cinquième évangile fait la nique à la vague des romans pseudo ésotériques pouet-pouet et à la pseudo culture de masse. Le roman vaut presque plus dans son principe que dans son écriture. Ce n’est évidemment pas un chef d’œuvre de la littérature puisque Michel Faber pastiche parfois ses anti-modèles, ce qui ne hisse pas le niveau d’écriture, il faut bien l’avouer. Par contre, le personnage principal est tellement con, méchant que le livre en devient particulièrement irrévérencieux et qu’on bondit de joie quand il compare ses manuscrits vieux de 2000 ans à des magazines pornos (pour l’impatience qu’ils suscitent), ou qu’il n’hésite pas à hurler « qu’est ce que ce mec est chiant ! » à propos de l’auteur des dits manuscrits, effectivement pas un gai-luron à lire sa prose.

Un bon moment donc, sans larmichette et sans leçon de morale antique sur la voie que doit suivre l’Homme. Sympa.

Chronique livre : La route

de Cormac McCarthy.

Un homme et son enfant taillent la route vers le Sud, en quête d’un peu de chaleur. Ils marchent dans un pays dévasté par une catastrophe dont on ne sait pas grand chose. Des cendres, des corps calcinés, des arbres brûlés . L’apocalypse a eu lieu. Leur vie se résume à avancer, à trouver de la nourriture pré-apocalypse encore comestible dans des maisons décrépites, à survivre aux attaques des quelques humains rendus fous par la faim. L’homme veut que son enfant vive, cet enfant qui est tout pour lui. L’enfant n’a jamais rien connu d’autre que cet enfer, jamais entendu le chant d’un oiseau, et a souvent du mal à comprendre pourquoi il faut absolument survivre, alors que sa mère, elle, a préféré partir.

Pas de doute, McCarthy méritait son Pulitzer pour ce magnifique roman. Naviguant dans des eaux de transition, entre anticipation, et réflexions intimes sur le sens de la vie, La route est un roman fois ample, lyrique, puissant. La simplicité de son processus met en valeur la force et le souffle de l’écrivain. Cette force n’est pourtant jamais écrasante, et les rapports entre les deux personnages forment le coeur du roman, et posent les questions délicates de l’attachement des êtres, et de l’origine de l’instinct de survie. Pour ce père, son enfant est tout, sa raison de vivre. Lui qui a connu l’avant, il cherche désespérément à faire entrevoir à son gamin qu’il y a un espoir. L’espoir chez cet homme naît de son vécu antérieur, des choses agréables qui lui sont arrivées auparavant. La connaissance du bonheur, ou du moins du bien-être passé induit chez lui le besoin de le faire entrevoir à son gosse, à défaut de lui faire vivre vraiment. Mais pour l’enfant, comment avoir de l’espoir ? Il n’a jamais rien connu d’autre qu’un monde dévasté, un monde de survie, sans confort, sans quiétude, sans amis. Le père essaie de lui procurer les attributs d’une enfance qu’il n’aura jamais (des jouets, des histoires, le bien, le mal), mais tous ses efforts sonnent creux. Les référentiels de l’enfant ne sont pas ceux du père. Ils ne partagent au final que cette route, et un peu de tendresse, sans autre socle commun. L’enfant ne comprend pas à quoi sert de survivre dans un tel univers. Ne compte pour lui que son père, mais aucun élément extérieur.

Outre a question de l’instinct de survie, La Route pose la délicate question de la définition de l’humanité. Face à cette apocalypse, les hommes sont poussés dans leurs retranchements. La plupart deviennent visiblement des barbares, sans morale, mangeur de bébés. Cette évolution est-elle une déshumanisation ? ou bien est-ce justement la perte par l’enfant de son envie de vivre qui en est une ? Qu’est ce qui fait l’homme ? Son instinct de survie ou sa moralité ? Je vous passe tous les parallèles qu’on pourrait mener entre l’actualité et ce roman. Comme toute bonne anticipation, on peut projeter les menaces qui planent sur l’humanité dans le roman : faim dans le monde, réchauffement climatique, catastrophe nucléaire…

Le style deMcCarthy est absolument magnifique. Phrases brèves, percutantes, répétitions, dialogues au couteau, on sent l’urgence, la vie qui ne tient que par un fil. Ça pourrait être asphyxiant, c’est juste passionnant et magnifique. Une belle réussite.

Chronique livre : Le Dernier Roi d’Ecosse

de Giles Foden.

Tombée par hasard sur le livre après avoir malencontreusement loupé le film, j’ai mis un moment à oser l’ouvrir. Le thème, il faut l’avouer est peu sexy au premier abord, et comme parfois les apparences sont trompeuses.

Le bouquin relate l’histoire de Nicholas Garrigan, jeune médecin écossais, envoyé tout d’abord dans la cambrousse ougandaise, puis au service d’Idi Amin Dada. Roman d’apprentissage, d’aventure, historique, on est plongé dès les premières pages dans un foisonnement incroyable et pourtant d’une limpide. Malgré le jeune âge de l’auteur à la sortie du roman (seulement 31 ans), l’écriture est d’une maturité impressionnante et d’une grande beauté. Langage de dandy, mais d’une remarquable fluidité, c’est un régal à savourer, en dépit du thème pour le moins sérieux.

Le narrateur, personnage d’un caractère passif, raconte de façon assez distanciée les horreurs ougandaises. Cette distance, représentant autant du détâchement, de l’inconscience, qu’une forme de protection face aux atrocités auxquelles il assiste, tombe par moment, pour laisser place à quelques paragraphes d’une grande humanité et recul sur soi-même. Ces petites incursions dans la conscience humaine permettent au roman, et au héros, d’échapper à la banalité d’une simple récit à la troisième personne, et lui donnent une ampleur assez inattendue. Plus que la volonté de raconter un pan de l’Histoire travers d’un témoin (le coup d’Etat d’Amin Dada pour arriver au pouvoir en Ouganda, puis la désagrégation du pays, soumis à la dictature d’un fou), c’est donc surtout le rapport de l’Homme aux événements auxquels il assiste et, de manière non désirée, auxquels il prend part. Malgré la façon dont Garrigan clame son innocence, essaie de s’auto-convaincre qu’il n’est pour rien dans tout ce qui est arrivé, il s’exile dans une île coupée du monde pour finir ses jours. Culpabilité inconsciente, ou volonté de s’éloigner des atrocités du monde. Un peu des deux peut-être.

Evidemment le livre est historiquement très intéressant pour qui connaît peu ou pas l’histoire de l’Ouganda, sans tomber (à une petite et pardonnable exception près) dans la pédagogie de livre scolaire. Un grand bravo à François Lasquin et Lise Dufaux pour la belle traduction.

Quelques lignes pour le plaisir :
« Mais à l’époque, je ne laissai pas percer grand-chose de ce que j’éprouvais : alors que j’avais hérité de ma mère une propension à travailler d’arrache-pied et à me ronger les sangs pour des riens, mon père m’avait inculqué l’idée que si l’on veut réussir dans la vie, il importe de juguler ses sentiments. Chez nous, la manie de « s’exprimer » à tout prix que l’on pare aujourd’hui de toutes les vertus n’avait certes pas cours. Si bien qu’enfant, ma folie juvénile resta sagement confinée dans ma tête qui bouillonnait d’envies vagabondes : j’avais la passion des atlas, des timbres et des récits d’aventures. »