Chronique livre : Autobiographie des objets

de François Bon.

Le temps des objets a fini.

Première fois dans l’univers de François Bon, et stupéfaction après quelques pages de ne pas le trouver là où je l’aurais imaginé. On est toujours trop prompt à enfermer dans des cases les auteurs qu’on n’a pas lus.

Parlons du titre tout d’abord. Ce titre intrigant Autobigraphie des objets. Que va-t’on lire ? L’autobiographie de François Bon via les objets de sa vie ? En ce cas, tel un tableau, le titre aurait pu être “Autobiographie aux objets”. Non le titre révèle un point de vue plus complexe dans lequel les objets se trouvent eux-mêmes en position de dresser leur biographie, parce qu’il est temps de le faire. Mais évidemment les mots émanent de François Bon. Aussi dresse-t-il à travers l’évocation de divers et hétéroclites objets qui ont peuplé sa vie “avant l’écrit”, à la fois sa propre biographie, éclatée, fragmentaire, et la biographie des objets qui recoupent la sienne.

La démarche m’a tout d’abord paru nimbée d’une nostalgie toute modianesque, cotonneuse et ouatée. L’écriture, très sage au début ne fait pas grand chose pour dissiper le malentendu, et le catalogue, sans être désagréable, fait tout de même gentiment bailler.

Mais voilà, à un moment, passe un petit frisson, puis les frissons se multiplient, et Autobiographie des objets, progressivement, acquiert profondeur et émotion. A mesure que se rapproche l’objet ultime et fondateur (que je vous laisse découvrir), que se révèlent les intentions de François Bon, le lecteur se voit lui aussi acculé à ausculter sa relation avec ses propres objets, les rapports entretenus avec eux, l’évolution de ces rapports, et surtout la place qu’occupe aujourd’hui les objets dans sa vie, et dans la société en général. On se retrouve face à ses propres fantômes, tout en aboutissant à une réflexion sur les métamorphoses de la société et c’est assez bouleversant.

A la fois ample, profond et introspectif, Autobiographie des objets se goûte lentement, mais finit par s’imposer avec force à la tête et au coeur. Touchée pour de vrai.

Ed. Editions du Seuil

Chronique livre : Destruction massive – Géopolitique de la faim

de Jean Ziegler

Après l’excellent la Haine de l’Occident, Jean Ziegler nous propose une réflexion sur un domaine qu’il connaît parfaitement, la faim dans le monde. Il dresse tout d’abord un état des lieux de la faim, des institutions qui essaient d’enrayer le phénomène, puis nous fait comprendre les origines de la faim, de démontrer quels sont les responsables, et démêler quelles seraient les pistes pour éradiquer cette plaie.

Très circonstancié, le livre est une démonstration impeccable des tenants et des aboutissants de la faim. Le lecteur, même un minimum averti du sujet, ne peut qu’être scotché par la limpidité du discours de Ziegler, sa manière à la fois simple et extrêmement directe d’expliquer, à base de chiffres édifiants, d’anecdotes en général vécues, et de dénonciations sans aucun détour.

Le livre se perd certes parfois dans le trop-plein d’anecdotes, dont on ne comprend pas toujours l’utilité, mais ça n’est pas bien grave. La lecture de Destruction massive devrait être obligatoire, un livre d’utilité publique.

Ed. du Seuil.

Chronique livre : L’été de la vie

de J. M. Coetzee.

Qui est l’autre ?
Clique.

Voilà une jolie balade dans l’Afrique du Sud des années 70 que nous propose J. M. Coetzee, prix Nobel de littérature en 2003. Après deux livres plus ouvertement autobiographiques, mais que je ne connais pas, Coetzee nous propose cet autoportrait en creux au travers des témoignages de quatre femmes et un homme qui ont croisé sa route dans les années 70, période durant laquelle il a commencé à écrire. Réalité ou fiction, on ne sait pas démêler le faux du vrai, mais l’intérêt du livre réside essentiellement dans le décalage entre ce que l’interviewer aimerait bien entendre sur l’auteur, dont il connaît la façade publique (auteur de nombreux romans, nobellisé etc.), et ce que raconte les interviewés.

Bien loin de peindre le portrait d’un intellectuel séduisant et fascinant, les connaissances de la vie de Coetzee sont unanimes : dans les années 70, Coetzee avait tout du raté total, et ce dans tous les domaines. D’un point de vue professionnel (enseignant par défaut, sans vocation, sans charisme, et par intermittence), familial (il s’occupe de son père parce qu’il n’a nulle part où loger, toute sa famille le prend pour le maillon faible), ou sentimental (amant minable, ou éconduit, sans trace de sensualité), il n’y a aucune partie réussie dans la vie de l’auteur. Le constat est assez drôle, les interviewés livrent progressivement leur jugement, toujours dur au final. Mauvais amant, distant, froid, plongé dans son monde intérieur mais incapable de réussir à le transmettre, Coetzee apparaît sous un jour peu favorable. Pas grand chose à sauver dans ce gars si l’on en croit toutes les personnes qui gravitaient autour de lui.

Tentative d’auto-apitoiement ou autoportrait plein d’humour ? On ne sait pas vraiment quel est le but poursuivi par l’auteur. Peu importe, finalement, le portrait apparaît pudique et taquin, et on passe un bon moment à lire ces “interviews” fictives, qui en apprennent autant sur les interviewés que sur l’objet de leurs propos. Le livre interroge également sur le regard de l’autre, sur la subjectivité du point de vue des gens extérieurs par rapport à ce qu’on vit, ce qu’on ressent, sur la difficulté à communiquer, sur la condition humaine en général, solitaire et incomprise. C’est profond et léger à la fois, et on passe un moment, certes pas exceptionnel, mais très agréable en compagnie de Coetzee, aussi morne soit-il, soit disant.

Chronique livre : Comment les riches détruisent la planète

d’Hervé Kempf.

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Même si piquant, à protéger. Mets-y les doigts, et clique.

Voilà un bouquin essentiel à mettre entre absolument toutes les mains. Hervé Kempf est un journaliste tout ce qu’il y a de plus sérieux, qui sait que, justement pour être pris au sérieux, il y a nécessité à être factuel et précis. Son livre est donc complété par une très impressionnante bibliographie mêlant des références scientifiques, sociologiques ou économiques et extraits de journaux. Ses potentiels détracteurs devraient donc se casser copieusement les dents en essayant de discréditer ses théories. La très grande qualité de ce livre est de lier intimement écologie et social. Les « écolos », dont je fais partie, sont souvent considérés comme des doux rêveurs ou au contraire des ayatollahs capables de sacrifier père, mère, et humanité en général au profit des petits fleurs et des baleines. Kempf démontre par A plus B, que vouloir sauver l’homme et améliorer ses conditions de vie passe par la préservation et la restauration de l’environnement. La crise sociale actuelle est indissociable de la crise écologique puisque celle-ci provient de visions économiques toujours tournées vers le productivisme. L’équation croissance = travail est désormais obsolète, il y a nécessité à trouver des voies différentes, réinventées afin d’assurer à l’Homme et la planète une cohabitation plus harmonieuse et durable.

Les propos de Kempf sont très étayés, et le livre est vraiment passionnant, réussissant à mettre des mots sur ce qu’on intuite mais qu’on ne réussit pas forcément à verbaliser. Il cite notamment un économiste américain d’origine norvégienne du XIXème siècle, Thorstein Veblen, dont la pensée et les écrits sont totalement visionnaires et indispensables. Visiblement un grand mons

ieur qui prend à contrepied toutes les postulats économiques considérés comme inamovibles. Brillant. Le livre est émaillé de phrases chocs et salvatrices, du genre qui surtout ne passeront pas à la télé car totalement subversives et dangereuses pour les pouvoirs en place : il est toujours tabou de dire qu’il faut moins consommer, que la croissance matérielle appauvrit la planète et donc les hommes, que notre démocratie chèrement gagnée est en danger par la faute d’une oligarchie toujours plus repliée sur ses inutiles amas de richesses. Le livre sous des dehors un peu éclatés entre écologie, économie, social, démocratie, fait le lien entre toutes ces notions et ose courageusement regarder les choses en face, de pointer du doigt les responsables (et les responsabilités sont très partagées), et de proposer des solutions.

A lire, à retenir, et à appliquer.

Chronique livre : Le Maître a de plus en plus d’humour

de Mo Yan

Après 120 pages d’une énorme pavasse écrite petit et mal traduite, j’ai attrapé un petit livre rouge, offert par une gracieuse amie sinophile pour mon anniversaire (qui se reconnaîtra car je sais qu’elle hante silencieusement les pages de ce blog). Je ne vanterai jamais assez les mérites des livres courts, comme des films courts d’ailleurs, j’aime la concision, et la modestie de savoir s’arrêter quand il n’est plus nécessaire de broder.
Le Maître a de Plus en Plus d’Humour (LMADPEPDH en abrégé), est un petit bouquin chinois, très court et écrit très gros, pile poil ce qui me fallait. J’ai toujours une crainte en abordant une traduction chinois-français, parce que fréquemment, on se demande si le traducteur n’est pas Ouzbek. Là non, c’est joliment traduit, sans maladresse, tout en douceur, ça passe facilement et sans beurre.
LMADPEPDH est l’histoire d’un ouvrier modèle, qui se retrouve au chômage, 1 mois avant sa retraite. Ca a l’air de rien, mais en Chine, ça veut dire beaucoup. En gros : il est vraiment dans la merde. Mais il trouve une idée géniale et lubrique qui le sort de la merde… à moins que…
Plutôt que de longs discours, je vais faire ce que je ne fais jamais : faire des citations. (C’est de la flemme pure et simple, je sais).

« A force de vouloir garder la face, (…), jamais le chat mort ne grimpera aux arbres »

« En écoutant la multitude de sons différents émis par les hommes et les femmes dans la petite chambre, ses oreilles lui permirent d’accumuler une foule de connaissances sur la séxualité masculine et féminine, (…) comme si d’une fenêtre ouverte, il avait pu voir d’immenses paysages »

« C’était un amour classique, très triste, comme les concombres plongés dans le pot de saumure »

« La lumière falote (…) éclairait la peau boutonneuse de la volaille, transmettant la chair de poule à sa vieille peau, qui se mit à ressembler à celle du poulet »

Drôle, noir et lumineux !