Chronique livre : Zéropolis

de Bruce Bégout.

fun450

Super big méga fun ! LOL !
Mouais.
Clique tout de même.

Continuant mon exploration des écrits de Bruce Bégout, après la découverte du Park qui m’avait intensément interpellé, je me suis attaquée à Zéropolis. Premier essai de Bégout publié chez Allia, Zéropolis raconte “l’expérience Las Vegas” vécue par son auteur, en courts chapitres déroulant chacun une approche différente de la tentaculaire ville du néant.

Bien évidemment on sent que les racines du Parktirent leurs éléments nutritifs de cette expérience hors de tout : Las Vegas, comme parc d’attraction géant, proposant un modèle de société basé sur le fun, évinçant par là même toute notion de réalité, ou plutôt tentant de modeler la réalité dans son entier en fun. Pour aller dans le sens de l’auteur dans sa préface, Zéropolis ne nous apprend pas grand chose que l’on ne sache déjà sur le délire américain que constitue Las Vegas. Le modèle vegassien a trop largement été diffusé dans le monde pour véritablement constituer une immense surprise à la lecture de ces pages. Cependant, Zéropolis n’est pas exempt de qualités, et sa principale qualité est, comme tout bon essai, de faire croire au lecteur qu’il est intelligent.

Bégout, grâce à une écriture précise, claire et acérée parvient à nous faire pénétrer dans sa pensée, son raisonnement, sans jamais nous perdre. Nous naviguons sur le chemin éclairé aux néons de l’analyse de l’auteur, portés par le flot de ses réflexions. Le procédé fonctionne d’autant mieux que le style de l’auteur, s’appuyant sur le gigantisme vegassien, semble tendre vers la fiction, la fantaisie, ou plutôt l’horreur pure, pour un esprit aussi réfractaire à toute manifestation de joie collective qu’est le mien. Cette façon de capter l’attention du lecteur et de lui ouvrir l’esprit, par la seule force du style, à une pensée complexe et profonde, est fascinante.

Las Vegas n’était qu’un cauchemar sociétal et urbain que j’arrivais à tenir suffisamment éloigné de moi. Grâce à Zéropolis, mes angoisses les plus profondes se trouvent alimentées concrètement par les aplats multicolores et protéiformes d’une ville prosélyte dont l’aspiration clairement affichée reste de convertir au dieu Fun la terre entière. Terrifiant.

Chronique livre : Le Park

de Bruce Bégout.

A ta place, je suivrais docilement le mouvement.
Tout écart pourrait être fatal.
Clique.

Magnifique petite chose publiée dans la non moins magnifique collection Allia, le Park m’a été conseillé par une personne fort avisée, qui peut continuer à me donner des conseils de cet ordre autant qu’elle veut. Au premier abord, on se croirait dans un univers entre W ou le souvenir d’enfance de Perec, et Choir de Chevillard : la tentative de description d’une chose indescriptible et ignoble. Mais là où Perec et Chevillard avancent masqués, Bégout dévoile très vite ses intentions, tout comme le lieu qu’il décrit porte en lui-même les éléments de sa propre réflexion.

Le narrateur nous embarque dans la découverte du Park, un parc d’attraction pour gens friqués, isolé sur une île. Ce Park est un peu particulier puisque, loin du classique parc d’attraction, il accumule en son sein, toutes les sortes de “parcs” pouvant exister, ou plus précisément les différentes modalités de “parcage” existantes : du parc d’attractions classique, aux camps de concentration, en passant par les prisons, les zoos, les tripots, les usines … Partant du postulat que l’instinct naturel des hommes est de s’auto-parquer (pour se protéger, entre des murs, ensemble) et de parquer les éléments indésirables, effrayés qu’ils sont par l’inconnu, le danger, l’absence de limites, de protection, par une trop grande liberté. L’intention du livre étant dévoilée très tôt, on se demande si Bruce Bégout va quand même arriver à tenir sur la longueur. Et bien oui. Au milieu du livre, il introduit dans sa description méthodique du Park, l’étude de certains habitants, grosso modo un pour chaque type de population du Park : un employé fraîchement débarqué, un prisonnier, les ingénieurs et scientifiques qui inventent les attractions, l’architecte perché dans sa tour d’ivoire, les visiteurs… et cet étalage de caractères peuplant cet univers infâme est abominablement délectable.

Voilà le paradoxe de cet objet littéraire : une description méticuleuse et rigoureuse (quel style précis, affûté !) d’un endroit déserté par la morale, visité par de richissimes clients en quête de sensations fortes injustifiables, qui tout autant qu’elle provoque le rejet, suscite la curiosité et l’appétit malsain. Le lecteur se trouve dans la position de rat de laboratoire, soumis à une expérience scientifique et littéraire passionnante, riche et inconfortable. Il n’est bien sûr pas la peine de préciser que ce Park, si particulier, n’est qu’un révélateur, un condensé du monde dans lequel nous vivons, et duquel pourtant nous nous protégeons, en restant dans nos “parcs” respectifs (travail, famille… vous connaissez la suite).

Le Park, ou l’ambition de décrire le monde en son entier au travers d’une notion unique, celle du parcage : fou, discutable et surtout formidablement réussi. Une belle découverte.

Et parfois la réalité vient faire du pied à la fiction.